L’auteur appartient au livre. L’auteur est dans le livre — profondément plus que le livre dans l’auteur.
Quant à moi, l’auteur est dans son livre.
L’auteur appartient à son livre, comme j’appartiens à ma respiration. Comme ma respiration appartient à l’ensemble des souffles. L’ensemble des souffles formant atmosphère.
Dans l’air il y a un livre.
Un instant j’ai craint qu’il — l’air — ne fasse boum. Bang. BANG. C’était l’instant de sortir. C’est tout un pan, en effet, de ma vie qui est là : dehors — auquel ce livre s’adresse. Il l’interroge. Entre eux — le livre — l’air — c’est tendu. L’atmosphère. Entre eux je balance. Au seuil du livre je tremble. L’instant, je le revis à chaque fois — les fois qu’il m’arrive de sortir —, ça me prend : peur du mur du son.
PEUR.
Non : pas de chez moi. Pas exactement.
Il y a un livre près d’exploser. Déflagrer. Qu’est-ce qu’il manque ? Non. Je m’emballe. S’il y a un livre, si cela, quant à moi, existe, il est tout près d’investir l’air. C’est tangent. Ça le regarde. Il l’interroge. C’est imminent.
Ou c’est urgent.
Il va l’envahir. S’y étendre. Un feu. Une combustion rapide accompagnée d’explosion et de flammes — je le lis. Qu’est-ce qu’il manque à un feu ? L’air est l’aliment — l’oxygène dans l’air.
Je dis n’importe quoi — ça m’arrive. N’importe quoi, c’est mon ordinaire. Mon quotidien c’est n’importe quoi. Je suis employé de maison — cette maison n’a ni maître, ni maîtresse. Elle dérive dans l’espace — c’est le temps. Je dois tout faire tout seul. J’improvise. Je ne sais pas de quoi chaque jour sera fait. Chaque jour.
Je ne sais pas ce que je dis. C’est parce que je ne le sais pas que je le dis. C’est pour le savoir. Je dis tout, je ne sais rien. Je dis les choses pour voir. C’est dans l’espace les choses que je dis, que je les lance. Exploration. Dans le temps. C’est à travers les jours.
Est-ce que ça peut retomber en livre, de foutre les choses en l’air ?
Toutes ? Les foutre ?
Je crains de brûler. Je brûle. J’ai peur du mur du son. Qui a dit que ça ne se passait plus ? Qui a dit que ça ne se faisait plus ? Qu’au-dessus du territoire national et à moins de trente-sept kilomètres de ses côtes il y a interdiction, en dessous de 10 000 mètres — 10 000 mètres de hauteur en l’air —, de le franchir ? De l’ériger ? Le provoquer ? Le BLAM ? Je l’ai lu — le copie. Ce n’est évidemment pas que, moi, je l’aurais passé. Qui suis-je ? Et qui est-on ? On dit qu’il n’y en a plus un seul debout en l’air. De nos jours. En France, on n’entend plus ça. — C’est que ces murs, ce genre de murs, pour les bâtir, il faut les passer. Je dirais : ils ne s’érigent que d’être franchis, l’avoir été. Il faut venir de les passer. Ils sont de ces phénomènes produits d’un coup de boutoir — quand à d’autres le même instant — l’onde de choc — suffit pour sombrer, ou par exemple descendre la totalité des vitres de la maison — et quand bien même la maison n’est pas chez moi, le remplacement m’en incomberait… Qu’a dans ce champ de ruines ou dans cette zone d’activité — le ciel — à faire un livre ? Saviez-vous que le ciel descend jusque tout en bas ? Que nous avons les pieds dedans.
C’est merveilleux.
J’allais tout envoyer promener.
J’allais pour sortir. Je m’en allais y penser. Pourquoi se prendre, se supporter tout ce mur — d’enceinte — du son ? On a bien des portes. Cette maison n’est pas dépourvue de portes — au contraire. Quand même, nous ne vivons pas sans porte. Le problème avec elles — et je n’en fais pas une particularité, j’ose croire que cela ne vaut pas que pour les portes de CETTE maison — c’est, quand ça les prend, qu’elles font vlan. VLAM. C’est alors que la question est soulevée et tombe. L’interrogation — un point d’interrogation est aussi un point d’impact. Elles claquent donc — comme la pointe du fouet claque — sa pointe venant de passer le mur du son. Le bruit se produit dans l’air — mais la brûlure ?
Mais c’est aussi parce que toujours — ou est-ce à chaque fois ? — j’ai un courant d’air avec moi. Toujours là pour m’indiquer la voie — toujours prompt à la refermer, comme tout, derrière moi. Me voilà emporté. Passé. Je ne me mettrai jamais en travers des courants d’air. Je suis l’un des leurs. Je suis de leur maison.
Un auteur appartient à son souffle. Heureusement, un livre est aussi une respiration.
Moi aussi je suis du règne des souffles. Je ne tiens qu’à un mot — dans un souffle, il n’en tient guère plus. Un mot m’est un sort. Et il y en a partout de jetés…
— Oh les mots… Ils sont dans l’air. Tous. Ce livre aura fort à faire…
C’est pourquoi je sors sans le dire. Je préfère ne, je sors sans rien dire. RIEN toucher — tout ce qui s’entend là est gardé pour moi. Plutôt : je fais comme si je ne sortais pas. Mieux : je fais comme si j’étais là. Surtout : je ne dis pas ce que je fais. Écrire, c’est cela.
Il est déjà midi. L’heure de la plus haute tension : le JOUR au plus haut. Et le ciel d’un vide — d’où l’on tombe le plus bas —, je l’entrevois : d’un bleu de butane — atmosphère explosive, à ne plus mettre un petit doigt dehors… PEUR… PAN. C’est juste derrière cette porte que je m’en vais ouvrir : ma marge de manœuvre réduite à un fil. Je suis sur la crête — cela vous plombe, vous sonne, NON ? par anticipation. Je n’aurai pas moi, je le sais, d’après-midi d’un écrivain : pas pour moi — moi, dans ce livre, je ne suis que le lutin.
Je baisse ma tête — et la poignée… Je passe le seuil… On devrait pouvoir s’installer sur le seuil. Lutin du seuil. N’être que ce seuil.
Il n’y a que le seuil pour écrire. On n’écrit bien que sur le seuil. Extrêmement. Au seuil du livre, je me tiens. J’en sors. Je sors du livre…
Alors là : l’énorme détente de l’air… J’entendais déjà son boum — ce n’est qu’un PSCHHhh. Le bruit d’un avion passant très haut : de ligne. L’impression d’une fuite quelque part : ça me dit quelque chose…
(…)
« Un auteur appartient à son souffle. Heureusement, un livre est aussi une respiration […]
On a bien des portes. Cette maison n’est pas dépourvue de portes — au contraire. Quand même, nous ne vivons pas sans porte. Le problème avec elles — et je n’en fais pas une particularité, j’ose croire que cela ne vaut pas que pour les portes de CETTE maison — c’est, quand ça les prend, qu’elles font vlan. VLAM. C’est alors que la question est soulevée et tombe. […]
C’est pourquoi je sors sans le dire. Je sors sans rien dire — tout ce qui s’entend là est gardé pour moi. Plutôt : je fais comme si je ne sortais pas. Mieux : je fais comme si j’étais là. Et surtout : je ne dis pas ce que je fais. Écrire, c’est cela. »
Pas loin du souffle cosmique des poèmes qui ne prennent pas le solide au sérieux. On peut voir d’abord dans votre texte une ironie, un jeu de portes musicales avec la limite du mur du son. Je découvre aussi la cage de Faraday dans laquelle l’écriture nous tient un moment. Vous semblez très à l’aise dans les courants d’air et ça me fait sourire… Ayant en tête les cris de mère réclamant qu’on ferme les portes… -Ferme la porte , elle va claquer ! -Ferme ce livre , il va te bouffer les yeux – Ferme cet écran, tu vois bien que ce n’est pas la réalité ! Je vous imagine Spiderman, Fantomas ou Sisyphe, prêt à chevaucher le lexique de fugue du roman fantastique. C’est plaisant à lire, même sans bouls quies.
Merci Marie-Thérèse pour cette lecture. À plus d’un titre vous tombez juste. Ces figures de héros récurrents que vous convoquez sont exactement et depuis très longtemps (depuis que j’écris) les principes de structuration du récit autour desquels je tourne (ou sur lesquels je bute ?)