Vous êtes-vous déjà demandé en vous perdant dans un lotissement dont les noms de rue n’indiquent rien d’autre que la pauvreté d’imagination des promoteurs ce qu’il y avait là avant ? Rue des mimosas, des acacias, rue Mozart, impasse des écureuils, rond-point du château, rue de la chapelle. Avant vous, avant ces maisons qui se ressemblent en tous points (regardez mieux, il y a quatre modèles selon la taille) avant ces clôtures, avant ces arbres qui ont poussé et rendent le lieu presque agréable, c’était le parc à l’anglaise d’un château qui occupait la combe et descendait de bosquets en clairières vers un étang et un embarcadère. Fermez les yeux et imaginez. C’est difficile, je sais bien. Essayez quand même. Effacez ces thuyas, ces tamaris, ces palmiers, ces lauriers, ces oliviers; enlevez les clôtures, les barrières, les voies, les parkings, les voitures garées. Inventez des sentiers bordés de grands chênes aux fûts dressés vers le ciel, des tilleuls à l’ombre généreuse. Il en reste quelques-uns et ils sont en fleurs; aidez-vous de leur parfum qui fait bourdonner les abeilles. Prenez votre cheval ou faites atteler votre calèche pour parcourir les 70 ha de votre domaine. Goutez le silence. Il est loin d’être parfait, c’est vrai, mais c’est dimanche. Les voitures sont au repos et les enfants bruyants dans la piscine. Le bruit de balles sur le tennis n’est que lointain. 360 maisons, cela fait bien 600 habitants, autant de voitures, 150 enfants, autant de chiens et de chats. Heureusement, c’est dimanche.
La chapelle et le château existent toujours, c’est là que vous attend le conteur. Il vous attend, asseyez vous sur l’herbe, fermez les yeux et laissez-vous guider par ses mots. Répétez ses refrains, jouez le jeu. Il vous parle d’un autre monde qui n’existe plus, lui non plus, d’une grand-mère chez qui il allait en vacances, de bucherons, de paysans pas très malins qui portaient des sabots et pansaient leurs vaches et même d’un noir au pantalon rouge garance de la Première Guerre mondiale. Les histoires, c’est fait pour ça : s’imaginer ailleurs, vivre une autre vie, partager un refrain. Il n’y a pas grand monde au rendez-vous, dix peut-être en comptant les organisateurs : un couple avec ses trois enfants, beaucoup de vieilles personnes, mais une seule en déambulateur, un peu comme à la bibliothèque. Pendant qu’il raconte, une organisatrice vide la poubelle qui déborde, preuve que ces lieux sont habités et fréquentés.
« Les histoires, c’est fait pour ça : s’imaginer ailleurs, vivre une autre vie, partager un refrain. »… Oui.
Il m’arrive aussi parfois de me demander ce qu’il y avait là ou là avant ces buildings qui poussent comme de mauvaises herbes… du béton, toujours plus de béton, toujours trop de béton.
Je l’entends le bruit des balles.
Merci Annick. Je ne sais pas où François nous emmène, on verra bien.
On ne peut que se laisser emmener… jouer le jeu…