#été2023 #02 | Déambulations de lieu en lieu, d’idée en idée, de phrase en phrase.

tout se retrouve en italique par accident, ça fait partie du tout. juste de l'espace comme séparation. Ce sont des bribes écrites sur le blog que j'ai réunies ici pour répondre à la proposition. Il a une intention de départ. En fait un mouvement. Après,  que ce soit adroit ou pas c'est autre chose. En tous cas ça me travaille c'est sûr. C'est comme en peinture je fiche le bazar et ensuite je me demande où donc peut bien se loger mon ordre à l'intérieur. Mais ça ne sert surtout encore que   de prétexte. L'ordre a bon dos. C'est autre chose derrière les mots.

Le ressort se compresse se compresse se compresse puis il
se détend, le diable rouge sort de la boite. C’est un dispositif. C’est
peut-être le seul dont je dispose, que je dispose. A moins que ce soit
l’inverse : un dispositif inconscient dispose de moi. Béance.

On part ainsi avec l’idée d’un roman et, en cours de route, on s’aperçoit qu’on en écrit un autre. Choisir le roman qu’on veut, qu’on ne veut pas, surtout pas, mais qu’on écrit quand même. L’habitude terrible du malgré soi qui fait tant rire les filles quand elles ne s’en enragent pas

On s’attend devant la barrière à la tombée de la nuit. Tout ce qu’on imagine remplie l’attente et au-delà, une espérance. La nuit ici tombe toujours un peu de la même façon : le soleil disparaît lentement au loin derrière la colline de Chazemais, le ciel rougit puis bleuit, des oiseaux en bandes traversent ce ciel pour rejoindre leurs nids, la température se fait un peu plus fraîche et, dans la mare juste derrière la bicoque en bordure de la départementale, les grenouilles sortent la tête de l’eau verdâtre et leurs croassements s’ajoutent à tous les bruits des environs. Je ne me souviens pas d’éprouver de la peur, c’est juste l’inquiétude qu’elle ne vienne pas, que l’espérance se change en déception puis en amertume. J’aperçois toujours sa silhouette imprécise surgir dans le jardin, la clarté de sa robe, son mouvement pendulaire, le son caractéristique devenu familier de la pièce métallique qu’elle relève pour libérer la barrière et enfin l’odeur de sa peau arrive à mes narines qui me semblent exagérément écartées, avides de sentir cette odeur, mélange de savon, de lait entier et de foin. Nous ne nous disons rien, nous nous prenons la main, il fait presque noir et c’est la faible lueur qui monte du sol qui nous indique la présence de ce chemin que nous avons emprunté déjà maintes fois. Nous ne voyons pas bien loin, de chaque côté d’épaisses haies masquent l’étendu des champs, parfois un bruit étrange et soudain nous surprend, elle me murmure à l’oreille ce n’est pas rassurant et à ces moments là j’ai envie d’être rassurant bien sûr, je raffermis la pression de ma main sur la sienne. Pour un peu je la serrerais dans les bras, je plongerais mes yeux dans ses yeux qui sont deux trous noirs et je l’embrasserais. A ce moment là je me demanderais si oui ou non il faut y mettre toute la langue ou pas, c’est surtout ça qui m’inquiète, ça c’est sûr qu’il faut drôlement avoir confiance. C’est ça que je ne trouve pas
vraiment rassurant, faire confiance au point de livrer sa propre langue à une bouche étrangère.

 

On pose le casque qu’on a sur la tête sur le plan de travail, on se déconnecte de la session. On recule la chaise à roulettes en poussant du cul d’environ trente centimètres. On décolle son cul de la chaise à roulettes pour se retrouver en station debout, ce qui permet au regard de surplomber le module, tous les modules de la grande pièce. De l’open space. Puis quart de tour vers la gauche suivre l’allée recouverte de moquette entre deux modules. Parvenir à un couloir, la rupture est comme une déchirure du sol et du son. On passe de la moquette au carrelage, des voix, du brouhaha au silence soudain. Pas longtemps car au bout du couloir il y a la petite pièce où se tient la machine à café. Un gars de la maintenance est en train de faire le plein. C’est une scène vue mille fois déjà. On la voit la scène, on ne la voit plus, bonneteau de l’intérêt, de l’intention, du désir. La pièce carrée, le mur flanqué comme à la va-vite d’une fenêtre, la lumière qui y pénètre, un contre-jour vers quoi on se dirige, des silhouettes immobiles debout qui attendent, un nuage de fumée, une odeur insupportable tout à coup, une épaisseur qui vous saisit à la gorge, mais ce ne vient pas que de la fumée. Ca vient du silence, de la gène, de l’attente. Puis le gars de la maintenance appuie sur un bouton pour se faire couler un café, preuve que ça marche il referme la porte de la bécane, donne un tour de clef qu’il fourre ensuite dans sa poche. Il attrape son sac et il repart. Tout ça sans un seul mot. Dès qu’il a franchi la porte les voix remplissent la pièce, l’épaisseur devient encore plus épaisse, le malaise encore plus étouffant, alors on introduit une pièce dans la fente, on se concentre sur le jet de liquide qui coule dans le gobelet de plastique ocre pâle, on saisit sans le renverser le gobelet et on l’avale, comme ça, très vite, puis on le flanque à la poubelle, on repart. Tu parles d’une pause.

 

Donc à 7h le peintre boit le café, parfois beurre une tartine tout en écoutant la radio, ou encore il lit quelques pages d’un livre, toujours le même depuis des années. A 7h45 il débarrasse, et replie sa serviette. Enfin il se lève de la chaise, la replace soigneusement sous la table et enfin, se retourne à 180 °, effectue quelques pas vers la porte vitrée de la cuisine, qu’il ouvre pour atteindre une modeste cour dont le carrelage blanchâtre par endroit ébréché est cerné de joints sombres, perspective suffisante pour que le regard la suive afin de découvrir, surplombant une marche, une porte grise, encadrée par un bâtiment invisible au début mais qui finit par prendre tout l’espace de la vision.

La porte s’ouvre sur un espace vaste dit atelier mais on ne s’y perd pas comme dans l’espace d’une usine. On ne sera pas happé par l’espace mais plutôt au début par la présence d’une très grande table, formée par plusieurs tables plus modestes, le tout recouvert de toile cirée. Tout autour sur les murs, autrefois blancs, des tableaux de formats divers, semblables à des vitraux d’église éclairent un mur aveugle. Au plafond des néons clignotent puis se stabilisent. C’est alors qu’on pourrait, en étant attentif, découvrir le peintre assis face à son chevalet, à la manière d’un meuble parmi d’autres.

 

Conscience et connaissance de concert. Sortie du soliste
couvert de sauce tomate, applaudissements, le spectacle est terminé, un autre
commence, show must go on !

La phrase est la suivante. Que peut-on retirer à ça.
Est-ce qu
‘il faut retirer quelque chose à cette phrase. La suivante est la phrase. On peut essayer d’inverser pour voir.
Poker. Bizarre. Bluff.
On peut faire une phrase
avec un mot. Un mot entre deux poings
comme
à la fête foraine. Un
je de massacre.

Peut-être une perte d’appétit, l’âge venant, la mort déjà là. On se sentirait pressé par le temps, on ne dit jamais pressé par la mort. On entre dans cette rue dont on ne voit pas l’issue, le soleil nous éblouit, tout est à contre jour. On avise la devanture d’une librairie sur la gauche, on traverse en hâte la rue, hors des passages cloutés. La porte produit un son de carillon éolien chinois quand on la pousse. Il fait si sombre à l’intérieur on n’y voit
goutte mais le silence. Tout est feutré. Tout sent le papier, l’encre. On est passé dans un tout autre univers. On effectue quelques pas dans le désordre apparent des tables recouvertes de livres, entre les tables entre les rayonnages. On se dit tiens, on pourrait en trouver un qu’on aurait envie de lire. On voit les titres et les couvertures défiler,
prend moi, lis-moi, emporte-moi achète-moi l’idée vague d’une claque d’une maison close, de prostituées, ou encore, puisqu’il fait toujours noir, celle d’un marché aux esclaves. Mais si l’on réfléchi un peu on sourit, c’est soi l’esclave, la prostituée bien sûr.

Celui-ci soudain semble effacer toute présence autour. C’est un gros livre, sans doute plus de 1000 pages. Un gros morceau. Est-ce qu’on aura le temps de l’avaler tout entier, est-ce lui qui nous avalera, on ne le sait pas. On reste hésitant, puis on a peur de louper quelque chose, on le prend dans les mains, il pèse son poids, on est fier. On effectue le chemin inverse, à l’estime, pour rejoindre la caisse. On fait un peu la queue, désagréable de constater que l’on n’est pas le seul. Le type derrière la caisse attrape le
livre qu’on a posé sur le comptoir, il a de grosses mains et peut-être des doigts crochus tout à coup. Il tourne le livre pour scanner le code barre sur la quatrième de couverture. « C’est tant » il dit. On paie. le type tend le ticket de caisse qu’on fourre dans le portefeuille avec la carte bleue.
On vacille un peu du prix que le gros morceau coute. Un peu groggy. On rejoint la porte, même tintinnabulement éolien, et puis on se retrouve à nouveau dans la rue , le soleil est un peu plus bas qu’avant, de longues ombres viennent jusqu’aux pieds, elles bougent elles nous dépassent, se tiennent derrière nous, si on se retourne on peut les voir, et même la notre qui les rejoint, mon Dieu quel frisson de voir cette grande ombre, qui s’en va dans le sens inverse de celui où l’on va. Heureusement on a le paquet dans les mains, on a le gros morceau, plus de 1000 pages, c’est toujours ça.

 

Il créer son équilibre par la somme de tous ses
déséquilibres. Il commence à saisir l’idée qu’il a beaucoup souffert, et aussi
qu’il a éprouvé des joies indicibles, comme tout le monde. Suffisamment pour n’en n’éprouver aucune amertume, aucune rancœur, ni aucune gloire. Il s’y est tellement habitué. Instantanément, pas d’autre choix.

Maintenant ça va mieux comme on
dit, il est calme même si on l’imagine parfois terriblement agité. Mais il est
calme, « quasiment mort » disent certains. Mais ils se trompent encore,
il est calme,  il est vraiment en vie.

« Regardez comme je travaille. J’ai toujours peur qu’on ne voit pas combien je travaille. donc je m’énerve, il faut que je passe par plusieurs phases, que j’enchaine des phrases, comme ça, avant de me rendre compte. Je ne sais pas en fait si je travaille vraiment. Peut-être que l’une de mes pires angoisses c’est que je fasse semblant de travailler. Parce que je ne sais travailler, je ne sais pas me tuer à la tâche comme d’autres m’ont montré ce que c’était. Peut-être que ça me flanque la trouille de mourir comme ça. »  

Il se tient un moment sur le seuil de la maison. Il se dit que ce n’est pas possible, et il recule jusqu’à la rue pour la voir mieux. c’est la même maison, et ce n’est pas la même. Il semble qu’autrefois il la voyait plus clairement qu’aujourd’hui. Les choses étaient plus claires, c’est à dire plus simples. Il y avait la voiture garée devant le portail et ça lui serrait la gorge de loin. Il savait de façon claire qu’il allait dérouiller. Il y avait le portail rouillé, celui que la grand-mère avait défoncé avec sa caisse à peine son permis de conduire ressorti d’on ne sait quelles oubliettes. Il y avait une tonnelle qui servait de planque, de refuge, il pouvait rester là haut des heures à ne rien faire d’autre qu’observer la rue, le jardin, tous les environs, il y avait une seule possibilité de danger, et il ne cherchait pas à la disséquer comme une grenouille. Il y avait l’ombre des prunus qui venaient lécher le mur de la maison, le lierre en sortait comme une sorte d’extension vigoureuse pour s’accrocher de manière têtu à la façade jusqu’à atteindre le fait du toit. Il y avait la grande baie vitrée derrière laquelle, fantomatiques étaient les mannequins habillés avec des robes de mariée. Les briques de la façade donnant sur la rue, la couleur brique, proche de celle du sang, avec des volets verts. Celui de la chambre où il lisait étaient toujours fermés. Surtout les weekend mais il les confond avec toujours. On suivait l’allée pour parvenir à l’escalier menant à l’étage, drôle d’escalier ou pas une seule marche ne se ressemble , un escalier arythmique, qui épuise le souffle en le montant . Il arrive à un perron surmonté d’une marquise constituée de lames de verres dépolies. La porte s’ouvre sur une grande cuisine, il suit la perspective du carrelage, à gauche une autre porte qui mène à la nouvelle salle de bain qu‘ils viennent de faire construire et à la chambre des enfants, entre les deux une sorte de vestibule, celui-ci comportant un escalier droit menant au grenier et à son effroi, le même effroi note t’il. Et puis il la redécouvre, dans le fond, cette penderie dont les étagères sont masquées par un rideau de velours rouge épais. Un rideau qui sans nul doute dissimule les monstres qui viennent encore le hanter dans ses cauchemars. Mais de ce coté il ne voit rien, après un regard circulaire sur cette dernière pièce , il retourne à la cuisine, il verra mieux en passant l’autre porte, celle qui mène au salon. Il dit le salon. A mins que ce soit une salle à manger, il ne sait plus très bien. Ou encore il est possible, c’est même certain, que cette pièce possédât une double fonction.

Il est saisit clairement à la gorge par l’atmosphère. Il sent l’odeur, la fumée de cigare, la fumée des cigarettes blondes, l’épaisseur des tapis, de la moquette sur un pan de mur. Les rideaux de voile blanc bougent doucement quelqu’un a du ouvrir une fenêtre. L’espoir et en même temps l’angoisse reviennent. Il n’est pas seul dans la maison. Il y a quelqu’un quelque part, il traverse le salon dans la pénombre, se dirige vers une clarté et parvient ainsi à une petite salle d’eau. Tout est resté en l’état, il touche le rideau de douche pour éprouver encore la sensation désagréable de la peau sur le plastique, mais le rideau est sec. Alors déçu, il se rend à la chambre comme on se rend à l’ennemi. Une grande chambre avec un lit double, il constate la présence comme attendue, d’un gros édredon moelleux recouvert de nylon. Une grande armoire à glace fait face au lit, puis tout à coup il sursaute, c’est clair qu’il sursaute : il vient de voir quelqu’un, une ombre. C’est son image qui se reflète dans la glace de l’armoire. Il aurait bien juré un instant le voir lui, durant une micro seconde rien n’était plus clair, plus limpide et puis tout est devenu flou, il s’était mis à pleurer à chaudes larmes.

A propos de Patrick B.

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