Nous voulions entrer dans ce trou noir. Cette forme d’absence où la présence se révèle plus intense. Nous étions sur le haut du chemin, avions longuement attendu que la nuit nous enveloppe, pelotonnées toutes trois contre un gros rocher de granit en plein cœur de notre forêt. Nous avions juré. Emy, se tenait à ma gauche. Sa main était si menue que l’on aurait dit une aile de papillon que je n’osais serrer trop fort de peur de la briser. Elle était vêtue d’un pantalon et d’un pull blancs. Gina la plus âgée, flottait dans un jean trop large dont les poches débordaient de pierres ramassées çà et là, et me tenait l’autre main. Je ne savais pas trop ce que je faisais là, ni quel âge je pouvais bien avoir. Une fois la nuit bien incrustée au faîte des pins, nous fîmes ce que nous avions prévu: tourner sur nous–mêmes suffisamment longtemps pour ne plus rien savoir du chemin qui nous ramènerait à la maison. Rien ne pourrait nous guider. L’instinct peut-être. Les talons éperdus s’enfonçaient dans la mousse alors que les sourires ne ridaient plus nos bouches. Liées par nos mains enlacées, nos pas entreprirent une sorte de danse nocturne. Il y eut quelques frissons lorsqu’une ronce s’agrippa, puis un petit cri au frôlement d’une jambe par quelque chose dont nous ne sûmes rien. Nous étions dans l’amnésie du chemin à retrouver. L’envie de la peur, de se prouver notre capacité à nous débrouiller seules, nous poussaient à avancer. Mais moi je ne savais toujours pas la raison de ma présence avec elles. Il fallait descendre disait Gina, car la maison était en dessous de la forêt. Le tout était de descendre du bon côté de cette colline. La nuit était austère, de ces nuits de placard où rien n’a de consistance. Au fur et à mesure de l’avancée, les arbres se raréfiaient: nous nous retrouvâmes face à une étendue d’herbe: il fallut se glisser sous une clôture de barbelés où quelques cheveux furent accrochés. Et là, nous relevant, nous vîmes ce que nous n’avions jamais vu: un lever de lune. Une grosse boule rougie qui s’éleva de derrière la forêt dont nous venions d’émerger. La lune se détachait et grimpait doucement éclairant l’espace nocturne d’une douceur solaire. Cela nous parut irréel et l’avons vécu comme une sorte de miracle. Gina aperçut la maison tout en bas et nous indiqua comment rejoindre le chemin qui nous y conduirait. Nulle excitation mais un sentiment de paix. Le retour comme en apesanteur. Emy flottant comme une pâquerette et Gina qui n’était plus là à mes côtés à l’arrivée. Devant la maison, des adultes, assis sur des chaises en paille, regardaient le ciel dans l’attente d’étoiles filantes. Je ne savais toujours pas qui j’étais et ce que je faisais là . Une nuit d’été en éventail.
« Cela nous parut irréel et l’avons vécu comme une sorte de miracle. »
et le lecteur le vit lui aussi, tout comme les personnages de ce conte éveillé et magique…
merci à toi pour ce moment….
J’aime cette écriture qui glisse. « Sa main était si menue que l’on aurait dit une aile de papillon que je n’osais serrer trop fort de peur de la briser. Elle était vêtue d’un pantalon et d’un pull blancs. Gina la plus âgée, flottait dans un jean trop large dont les poches débordaient de pierres ramassées çà et là, et me tenait l’autre main. Je ne savais pas trop ce que je faisais là, ni quel âge je pouvais bien avoir. » deux personnages bien définis, un défi lancé et gagné parce que le mystère est ailleurs, dans celle qui ne sait pas qui elle est…