#boost #11 | Passage des perdus

Le jour ne viendrait pas. Cette certitude grandissait en nous au fur et à mesure de notre avancée. La nuit se faisait plus dense à chaque pas. Plus noire. Il fallait écarter les souvenirs pour deviner les obstacles que la ruse urbaine dresse sur le passage desperdus. Plus un rai de lumière. Pas même le tremblement d’un bec de gaz. 
– Je n’aime pas ça, me dit-il. 
Personne, pensai-je, n’aime ça. Nous décidâmes néanmoins de poursuivre dans la direction qui nous paraissait la plus sûre. Il y avait comme un halo dans le lointain. Nous l’avions pris pour guide. Nous ne le quittions plus des yeux. Il nous semblait indiquer un point où la vie, peut-être, persistait encore. Un point de ralliement pour les errants pris au piège. 
Dans mon rêve, la poussière partout gagnait en épaisseur, rendant notre progression toujours plus incertaine. C’était comme si une main ferme s’ingéniait à tout effacer autour de nous : les vitrines, les terrasses, les affiches, les corps, le luxe, les traces, le présent. 
– Il ne restera rien, reprit-il, tout en déambulant parmi les ruines.
Je sentis du dépit dans sa voix. Il cédait au découragement. Je n’avais plus la force de le soutenir. 
Levant la tête, je remarquai que les ombres même avaient disparu. Je n’en dis mot. Je fis semblant. Et nous continuâmes, fantômes divaguant, tandis qu’elles emportaient dans leur fuite la certitude que le jour, cette fois, ne viendrait plus.

A propos de Serge Bonnery

Autodidacte, passionné de littérature en général et de poésie en particulier. J’ai publié trois récits (éditions de l’Amourier et éditions Le Temps qu’il Fait) ainsi que des textes dans des ouvrages collectifs et des revues. Je réalise parfois des livres d’artistes dans la compagnie de peintres et de photographes. Je pratique pour l’essentiel l’écriture de fragments. Ma participation aux ateliers de François Bon revêt un double enjeu : développer et améliorer mon écriture du fragment ; faire de l’écriture une pratique quotidienne. Mon blog : https://sergebonnery.com