#mardi13052025 #Dialogue à sens unique | Juliet

Le temps a tracé quelques ridules autour de ses yeux. Je ne l’avais pas remarqué jusqu’à aujourd’hui.
— Tu es bien silencieuse.
Elle boit une gorgée, puis pose sa tasse de thé d’un geste précis, presque chorégraphié. Ses doigts effleurent la porcelaine avec délicatesse. Elle demande si cette année j’ai de bonnes classes. Je lui raconte ma découverte de la veille chez notre mère.
— Je n’ai jamais vu cette photographie. Tu as beaucoup d’imagination.
Je l’observe, je note des changements subtils dans sa posture, plus assurée qu’avant. Mon pied bat nerveusement sous la table. Elle rejette ses cheveux en arrière d’un mouvement fluide, théâtral. Sa main joue machinalement avec le pendentif de son collier. Ce bijou appartient à notre mère. Je ne savais pas que cette dernière le lui avait donné. Elle insinue qu’il s’agissait peut-être d’une autre femme de la famille.
Elle m’interroge, veut savoir si je travaille toujours dans l’édition. Malgré moi, mes poings se serrent sous la table. Elle me parle comme si nous nous étions quittées la veille en bons termes. Je ne sais pas pourquoi je suis venue à ce rendez-vous fixé par téléphone. Le sang pulse contre mes tempes. Chaque mot, chaque syllabe me coûte, nécessite un effort considérable. Elle n’écoute pas.
— Les enfants grandissent tellement vite.
Elle sort son portable avec des gestes amples et confiants. Elle fait défiler les photos d’un doigt léger, son visage s’illumine d’un sourire fier. Elle me montre d’autorité ses enfants. Son garçon vient d’entrer au lycée et sa fille commence le piano.
Je fais mine d’observer les photos avec attention, consciente que ma mâchoire se crispe. Je pose ma main sur la table. Je ne peux m’empêcher de tapoter le bois du bout des doigts. Elle penche la tête sur le côté, avec une expression faussement maternelle. Elle me trouve tendue.
— On pourrait dîner ensemble un de ces jours.
Elle se garde bien de proposer une date. Elle avance sa main comme pour toucher la mienne, puis la retire dans un mouvement calculé pour paraître spontané. Ma respiration s’accélère, un bourdonnement familier envahit mes oreilles. Mes acouphènes au volume max, signe précurseur d’un accès de colère à venir. Je ne sais pas ce qui m’a poussé à accepter cette rencontre. Mes doigts tremblent sur la table. J’avais peut-être envie de retrouver la complicité de notre enfance.