#Boost #11ter Ce ne me semblait pas le temps de se parer Contre les coups d’amour

L’un :
Le train s’arrêta net. Personne ne sembla y prêter attention. Un vague soupir derrière un journal, un autre, ronflé peut-être, du nœud d’un corps ensommeillé près de la porte du compartiment. Et puis le sien, profond, soulagé presque, sans qu’elle quittât un instant des yeux le paysage soudain figé. On pouvait la regarder à loisir, comme la neige qui tombait sans discontinuer. La promiscuité des compartiments en bannit toute gêne dans d’aussi longs voyages. L’inconfort des méchantes banquettes, l’exiguïté renforcée par les bagages d’hiver et les gros vêtements, le vent coulis qui ne fait pas prier chaque fois que la porte s’ouvre, tout cela contribue pratiquement à ce que les passagers se serrent les coudes. Aucun de nous ne débutait dans cet exercice. Nous savions prendre le mal en patience, reformulant à intervalles réguliers notre position, jamais longtemps meilleure. Elle seule semblait presque immobile, n’était la vivacité de ses cils et les reflets de ses cheveux. Je me laissai capturer par cette image immuable à chacun de mes retours entre sommeil et rêve, divagation et ennui, sommeil et chute, perdition et naufrage…

L’une :
J’aime la neige. Elle m’aime en retour. Elle offre la chute moelleuse, la mort douce et peint sur le paysage la réalité d’un autre, qui s’amuserait de nous tous, ici-bas dans sa grande main. J’aimais cette neige qui nous gardait là. Nous n’avancerions plus jusqu’au matin. Par souci d’économie, la seule lumière qui demeura était celle de la lune. Nous n’avions pas échangé trois mots. Bonsoir, peut-être, au moment où il prit place à mes côtés pour ce voyage en suspens. J’avais remarqué le blond cendré de ses cheveux, cette nuance sombre dans le clair, si rare dans ce pays. Plus tard, il m’avait demandé si sa montre indiquait l’heure juste, hochant la tête pour ne pas faire entendre que je n’étais pas d’ici, j’avais vu ses yeux à grandes paupières. Il se tenait tout contre l’iris, collé à la fenêtre de son regard dont les vitres tremblaient au lieu de s’embuer, sous l’intensité de son souffle. Et je me demandai : « quand il dort, cet homme, est-ce que leur vibration cesse ou s’intensifie, se libère ? », avant de ne plus y penser.

A propos de Emmanuelle Cordoliani

Joue, écrit, enseigne, met en scène et raconte des histoires. Elle a été décorée par Beaumarchais ( c'est un raccourci mais pas une usurpation ) et elle travaille avec la même équipe artistique depuis des lustres ( le Café Europa ) ce qui fait sa fierté et sa joie. Voir et explorer son site emmanuellecordoliani.com

Une réponse à “#Boost #11ter Ce ne me semblait pas le temps de se parer Contre les coups d’amour”