Nous sommes tous des traducteurs. Dès qu’on écrit, on traduit. Même s’il s’agit de notre langue maternelle. On cherche un langage adéquat dont on respectera les règles pour le faire suffisamment universel au moins pour quelques-uns et donc compréhensible par eux aussi.
Vivre fait pareillement de nous des traducteurs. On cherche pour le corps le mouvement, la position, la posture, la stature pour que les autres le comprennent assez pour se pousser un peu, élargir le cercle, ne plus se tenir dos tourné, lui laisser ou lui faire une place.
Le verbe comprendre ne signifie pas seulement rendre compréhensible, mais aussi contenir qui est différent d’appartenir avec dans la théorie des ensembles en mathématiques deux sigles bien distincts pour l’un et l’autre. Le premier a l’ouverture de son C ouvert vers celui auquel l’élément appartient avec une petite barre horizontale en son centre, tandis que l’autre ouvre son C est inversé et a son ouverture vers celui qui englobe.
Dès que « comprendre » est refusé par le cerveau : un puits sans fond qui aspire tout le corps. Le corps devenu inerte comme poupée de chiffon. Une force maléfique le jette dans ce gouffre. Hop, par-dessus bord dès que… Tout s’embrouille. La clarté du jour a disparu, le raisonnement a perdu sa limpidité. Nuit noire. Ce basculement dont on ne revient pas.
Contre cette nuit-là, elle lutte. Elle écrit comme on range, comme on remet de l’ordre. On définit ses personnages, on les nomme, on les fait naître à un endroit à une date, on fixe leur passé, leur avenir aussi, on assigne leur devenir et parfois leur fin. Plus rien ne peut leur arriver. On a vaincu les forces malfaisantes du chaos. Le corps immobile qu’on place chaque jour à la même heure devant la même fenêtre pour l’astreindre à ce travail par essence inachevé, et jusqu’à la fin il restera inachevé, il rescelle en lui l’inachevé, l’inachevé le définit, le corps immobile et astreint pour quelques heures à ce travail-là, tandis que le jour efface la nuit. Il y a toujours une rose pour cogner à la fenêtre à sa droite et lui tenir compagnie. Il y en a toujours une pour succéder à l’autre. Son état évolue vite. Jusqu’au moment où un vent plus fort finit par se lever. Il la balance de plus en plus violemment comme on secouait autrefois les enfants pas sages, jusqu’à ce qu’une ultime secousse ne fasse éclater la fleur lourde de la plénitude des jours passés en une envolée de pétales blancs comme une explosion de joie et de pétard de 14 juillet. Les roses ne sont jamais les mêmes. L’état du corps évolue moins vite. Le corps s’abîme d’immobilité. Tous les matins elle habille son corps d’immobilité pour écrire.
We are all translators. As soon as we write, we translate. Even if it’s our mother tongue. We seek an adequate language whose rules we will respect to make it universal enough for at least a few people and therefore understandable by them too.
Living similarly makes us translators. We seek the body’s movement, position, posture, and stature so that others understand it enough to move forward a little, widen the circle, no longer stand with their backs turned, leave or make room for it.
In French the verb « to understand » doesn’t just mean to make understandable, but also to contain, which is different from « to belong, » with two very distinct acronyms in set theory and mathematics. The first has its C opening toward the one to which the element belongs, with a small horizontal bar in its center, while the other’s C is inverted and has its opening toward the one that encompasses it.
As soon as « understanding » is rejected by the brain: a bottomless pit sucks in the entire body. The body becomes inert like a rag doll. An evil force throws it into this abyss. Hop, overboard as soon as… Everything becomes muddled. The brightness of day has disappeared, reasoning has lost its clarity. Dark night. This shift from which one never returns. She struggles against that night. She writes as one organizes, as one restores order. She defines her characters, names them, makes them born in a place on a date, fixes their past, their future too, assigns their future and sometimes their end. Nothing can happen to them anymore. She has vanished the evil forces of chaos. The motionless body that is placed every day at the same time in front of the same window to force it to do this essentially unfinished work, and until the end it will remain unfinished, it seals the unfinished within itself, the unfinished defines it, the motionless body forced for a few hours to do this work, while the day erases the night. There is always a rose to knock on the window to its right and keep it company. There is always one to succeed the other. Its condition evolves quickly. Until the moment when a stronger wind finally rises. It tosses it more and more violently as one used to shake naughty children, until a final jolt bursts the flower heavy with the fullness of days gone by in a flight of white petals like an explosion of joy and a Bastille Day firecracker. The roses are never the same. The state of the body evolves less quickly. The body is ruined by immobility. Every morning she dresses her body in stillness to write.
Wir alle sind Übersetzer. Sobald wir schreiben, übersetzen wir. Selbst wenn es unsere Muttersprache ist. Wir suchen nach einer angemessenen Sprache, deren Regeln wir respektieren, um sie zumindest für wenige Menschen universell genug und damit auch für sie verständlich zu machen.
Das Leben macht uns ähnlich zu Übersetzern. Wir suchen nach der Bewegung, Position, Haltung und Statur des Körpers, damit andere ihn so weit verstehen, dass sie ein wenig vorrücken, den Kreis erweitern, nicht länger mit dem Rücken zu ihm stehen, ihm den Rücken kehren oder ihm Platz machen.
Auf französisch bedeutet nicht das Verb „verstehen“ nur „verständlich machen“, sondern auch „enthalten“, was sich von „gehören“ unterscheidet, mit zwei sehr unterschiedlichen Akronymen in der Mengenlehre und Mathematik. Das erste C öffnet sich zu dem Element, zu dem es gehört, mit einem kleinen horizontalen Strich in der Mitte, während das andere C umgekehrt ist und sich zu dem Element öffnet, das es umschließt.
Sobald das Gehirn „Verstehen“ ablehnt, saugt ein bodenloser Abgrund den ganzen Körper ein. Der Körper wird träge wie eine Stoffpuppe. Eine böse Macht wirft ihn in diesen Abgrund. Hüpf, über Bord, sobald … Alles wird durcheinander. Die Helligkeit des Tages ist verschwunden, das Denken hat seine Klarheit verloren. Dunkle Nacht. Diese Verschiebung, aus der man nie zurückkehrt.
Sie kämpft gegen diese Nacht an. Sie schreibt, wie man organisiert, wie man Ordnung wiederherstellt. Sie definiert ihre Figuren, benennt sie, lässt sie an einem Ort zu einem Datum geboren werden, legt ihre Vergangenheit fest, auch ihre Zukunft, bestimmt ihre Zukunft und manchmal ihr Ende. Nichts kann ihnen mehr passieren. Sie hat die bösen Mächte des Chaos vertrieben. Der reglose Körper, der jeden Tag zur gleichen Zeit vor dasselbe Fenster gestellt wird, um ihn zu dieser im Grunde unvollendeten Arbeit zu zwingen, und bis zum Ende wird er unvollendet bleiben, er versiegelt das Unvollendete in sich, das Unvollendete definiert ihn, der reglose Körper, gezwungen für ein paar Stunden diese Arbeit zu tun, während der Tag die Nacht auslöscht. Immer klopft eine Rose an das Fenster rechts von ihm und leistet ihm Gesellschaft. Immer folgt eine auf die andere. Sein Zustand entwickelt sich schnell. Bis zu dem Moment, da endlich ein stärkerer Wind aufkommt. Er wirft ihn immer heftiger hin und her, wie man früher unartige Kinder schüttelte, bis ein letzter Ruck die Blume, schwer von der Fülle vergangener Tage, in einem Schwall weißer Blütenblätter zerplatzen lässt, wie eine Explosion der Freude und ein Kracher zum Nationalfeiertag. Die Rosen sind nie gleich. Der Zustand des Körpers entwickelt sich weniger schnell. Der Körper ist ruiniert durch die Unbeweglichkeit. Jeden Morgen kleidet sie ihren Körper in Stille, um zu schreiben.
« Dès qu’on écrit, on traduit. Même s’il s’agit de notre langue maternelle. »
Merci Anne, M’ en vais relire Dire presque la même chose de
Umberto Eco. Être plurilingues, et non polyglottes.
Tu sais, Ugo, ce qu’a dit François et j’avais oublié de quel auteur il s’agissait, qui s’était traduit lui-même (attention à moi de ne pas écrire trahi pour traduit) m’a ouvert un piste de jeu, avec la traduction automatique je me suis essayée à traduire Elle parle des corps et se relire en anglais ou en allemand, ce que cela provoque en soi, l’ouverture à je n’ai pas encore bien défini quoi, mais une ouverture de plus. Merci d’être passé pour faire écho, important.
« Dès que « comprendre » est refusé par le cerveau : un puits sans fond qui aspire tout le corps. Le corps devenu inerte comme poupée de chiffon…La clarté du jour a disparu, le raisonnement a perdu sa limpidité. Nuit noire. Ce basculement dont on ne revient pas. » oui c’est ça exactement j’y suis comme à l’époque devant les maths et la voix qui se tapait sur la cuisse en criant. « elle habille son corps d’immobilité pour écrire » ta phrase est très belle c’est une vraie question ( immobile en écrivant il me semble que tout bouge mais dans un espace minuscule ) , contraindre pour moi c’est quand je lis, mon corps contraint à l’immobilité vient me pourrir la lecture (le corps s’abîme d’immobilité ou se révolte) .., vivre et écrire : traduire . Hier justement je cherchais les mots au plus près de la sensation pour la traduire à qui m’écoutait et chaque mot semblait manquer son but : faire comprendre à l’autre ce pourquoi j’étais là .., merci Anne pour ces abîmes de question thank you Danke
Et j’oubliais le final de ton commentaire, si clin d’oeil. J’adore.
oui !
Merci, Nathalie. Ton commentaire est un réel partage. Un échange de sensations et réflexions comme si c’était en vrai, en face à face. Une discussion. Vivre et écrire, c’est traduire, dis-tu. Et alors « faire comprendre à l’autre », une discipline primordiale. 🙂 Merci de prolonger.
.. comprendre … quel mot!! annonciateur du boost 15??!! merci!!
Merci, Eve, de ton passage et d’avoir laissé un petit mot.
Intéressant, je serais curieuse de savoir ce que a traduction a ouvert comme porte. Et sinon, le comprendre comme contenir, sa version mathématique des choses, c’est inspirant, merci.
Merci, Perle, de m’avoir « comprise ». Pour ce qui est de la traduction, elle me sépare de mon texte tout en me le renvoyant. La lecture automatique apporte quelque chose, et dans une autre langue, c’est encore quelque chose d’autre. Je pèse les mots de ce qui a été écrit, je les pèse pour me demander si c’est bien cela, peut-être aussi que cela me conforte, me rassure sur leur caractère universel. C’est bien cela que je voulais dire, que j’avais besoin de dire… Quelque chose de cet ordre… Voilà, j’ai essayé de répondre. Merci de ton passage.