# Boost # 14 | forcément






Je m’appelle Giuseppe mais tout le monde dit Peppino parfois Pepe mais c’est rare. Giuseppe dans votre langue c’est Joseph. Je suis bien obligé de traduire sinon comment vous comprendriez ? Peppino est un diminutif qui a quelque chose d’enfantin. Ça m’est resté. Je suis resté un enfant. Une espèce d’enfant encore. Le petit Pepe c’est ça que ça veut dire. Le petit Jojo on pourrait dire. Non vous ne comprendriez pas. Je ne m’allonge jamais. Je dors debout comme les chevaux ou assis comme dans le temps. Je suis armé. Je garde. Je suis de garde. Dans le bureau. Au fond du couloir. Même si je vous expliquais vous ne comprendriez pas. Vous n’avez qu’une idée en tête et c’est celle de nous condamner. Moi et les autres. C’est vrai que voilà trente jours nous avons abattu son escorte. Moi même dans cet uniforme idiot comme ils le sont tous j’ai tiré j’ai tué mais je ne regrette rien. Cinq hommes sont morts mais je ne regrette rien. S’ils avaient pu nous tuer ils l’auraient certainement fait tout autant. Ils faisaient leur métier et savaient qu’ils avaient leurs vies dans la balance. Tout comme nous. On les payait pour ça. Nous nous avons nos convictions. Combien des nôtres sont morts ? Mara tuée sous nos yeux alors qu’elle se rendait. Combien sans que jamais ne soit puni le ou les tueurs ? Nous avons une guerre à mener. Et à gagner. Dehors tout est calme. Il y a un palmier qui doucement va et vient. Derrière la cloison lui il dort. Et moi je le garde. Je n’ai aucune sympathie pour lui. Je ne le hais pas non plus. Je ne le connais que par ce qu’il a fait et ce qu’il a couvert. Tout à l’heure j’ouvrirai la petite porte pour qu’il puisse respirer un peu. Le type souffre d’asthme et il est là à griffonner assis sur son lit. Il est là je le garde et je le soigne. Il doit rester en vie. Ses médicaments. Ses lunettes. Les légumes qu’il aime. Je lui ai même enregistré une messe pour qu’il puisse l’écouter religieusement. C’est un type que je ne comprends pas. En tout cas pas vraiment.Je commence à le connaître maintenant. Ce n’est pas qu’il soit impoli mal élevé ou arrogant. Il reste à la place qu’on lui a donnée. C’est vrai que ça ne servirait à rien mais si j’étais à sa place et je le suis en un sens je suis aussi prisonnier mais si j’étais à sa place je crierai je foutrai le bordel dans cette pièce je briserai le lit le chiotte la tablette je me battrai je me défendrai mais lui non. Rien. Le matin il se rase et prie. Le soir il écrit et s’endort. Sans doute souffre-t-il je suppose mais il n’en laisse rien paraître. Il écrit et il parle avec Mario sans jamais rien dire de vraiment précis ou d’intéressant. Il dit être loin de sa famille. Il dit qu’ils ont besoin de lui. Sa famille et surtout ce petit fils qu’il dit s’appeler Luca. Il voudrait qu’on le libère évidemment. Il voudrait qu’on soit raisonnable et que ça ne sert à rien de le garder en prison. Il contourne et fait comme si il savait ce qui allait arriver. Comme si on allait le rendre contre rien ou deux ou trois des nôtres. Mais non. Ce n’est pas assez. Mais lui il parle il parle. On a cessé de faire attention à ce qu’il dit. Ça ne nous intéresse pas. Ça ne nous intéresse plus. Le procès s’est terminé tout à l’heure. Coupable forcément. J’ai voté pour. Au contraire de certains de mes amis qui sont dans la cuisine et qui mangent en silence. On mange pour se nourrir mais on n’a pas faim. Voilà bien longtemps qu’on ne mange plus avec plaisir. On n’a pas envie de rire. Lorsque en ville on a appris l’enlèvement il paraît que des gens se sont réjouis et ont ouvert des bouteilles d’alcool pour boire à notre santé et à notre survie à notre réussite et à la fin de ce gouvernement pourri et corrompu. C’est possible. Mais on ne boit pas de vin on ne boit pas d’alcool. Forcément coupable. Il n’y a rien à y faire et simplement continuer à avancer et continuer à se battre. Je suis là et je le garde et bientôt il va s’endormir et bientôt moi aussi. Quelques minutes de repos. Ma garde jusqu’à ce qu’on me relève. Assis là devant la fenêtre ouverte. Il fait doux la nuit tombe le parfum des fleurs et le vent dans les arbres. Il fait doux. Je le garde. Assis là seul. Debout. Les autres sont dans la cuisine et mangent sans rien dire. Il n’y a plus rien à dire. Assis seul avec mon arme dont je me servirai pas. L’autre écrit encore et je ne le comprends pas. Peut-être à sa femme peut-être à ses amis. À ceux qui l’ont trahi et laissé tomber comme un vieux chiffon sale. Il n’est pas si vieux et se porte encore bien. Demain Mario reviendra et lui annoncera le verdict. Ce sera la mort et il ne le sait pas. Forcément. Il ne nous reste rien d’autre sinon sa vie même. La mort forcément donc

j'ai le sentiment que c'est le dernier de la série - comme le printemps se termine - comme arrive l'été - parfois je parviens à rester "dans les clous" parfois moins - comme ça se termine pour cette session je prie les autres participant.es à cet atelier d'excuser mon peu de retour sur leurs travaux. Je n'arrive plus  à lire il me semble - pourtant je ne fais que lire. Et d'ailleurs lire et écrire c'est la même chose en gros ou pas très différent en tout cas semblable. Je suis sans doute dans une autre façon de faire - Aldo est une affaire dont j'aimerai qu'elle se construise jour par jour - je m'y emploie (ici nous sommes le 15 avril 1978 au soir; Guiseppe est un prénom d'emprunt mais ils et elles avaient tous et toutes des prénoms et des noms d'emprunt des noms et des prénoms de guerre disons comme dans la résistance (Edgar Morin et le colonel Fabien) parce qu'il faut se protéger et que ça commence par ça sans doute, changer de nom, de prénom, d'identité de vêtements d'aspect d'allure...) et retrace pour chacune de ces journées les faits, ce qui prend du temps - j'essaye d'y parvenir et l'atelier me sert à continuer ce chemin qui dure depuis un certain temps - j'avance, certes... Merci à vous tous et toutes (et bien sûr d'abord peut-être à toi François) de lire et parfois commenter donc (Nathalie, Clarence, Ugo, Caro et tous et toutes)    

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10" et le site plutôt là : <a href="https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

2 commentaires à propos de “# Boost # 14 | forcément”

  1. Merci Piero. Poursuivre le chemin. Y compris quand l’atelier seul est le chemin du chemin. Ce sont les galets des autres, les petits cailloux déposés, qui souvent nous aident à marcher encore.

  2. tu n’es pas le seul à ne pas arriver à lire… je t’ai lu cette fois, et suis sensible à la tension de la situation, de la pensée qui justifie le meurtre opposée à la douceur mielleuse de la nuit… en fait c’est pour quand le Aldo finished?