# Boost 14 | dans l’attente


Dans l’attente de ce qui se rapproche. La fenêtre à droite. Le rideau blanc isole. La chaise avec des accoudoirs laisse aux bras le repos. Poser un bras dessus. L’autre est replié contre le ventre. Se savoir au seuil. Un livre posé sur le petit bureau derrière n’est pas d’un grand secours. On fait face. On tente de faire corps. Le temps s’écoule même si on ne fixe pas l’horloge. Cela traverse. On cesse de distinguer. On déplace les lunettes sur le dessus de la tête. Le regard se fait flou. Manière de s’isoler et de penser moins fort. Les murs se désagrègent. On dirait presque des vagues. Les photos accrochées au mur de gauche s’indistinctent. Les visages se fondent et l’on ne sait plus qui est qui. Il n’y a plus de sujets. Le tableau d’un paysage de Toscane n’est plus qu’une surface rouge et terreuse. Les bras s’engourdissent. Tout le corps s’engourdit. Avec la vision de myope peut-être que l’impossible serait possible. La réalité serait autre. Il y aurait comme une sorte d’espoir. Ou de déni. Et les songes pourraient prendre corps. Mais on replace les lunettes devant les yeux. On reprend la mesure de l’espace et du temps. Déplier son corps sans faire grincer la chaise. S’étirer un peu. Les épaules sont tendues. La nuque raide. Rejoindre en deux pas la fenêtre. Derrière le rideau blanc. Laisser une vision incertaine se décliner encore un peu. Rester à l’infinitif du regard. Fixer, se taire, attendre, laisser faire ce qui doit. Doucement repousser le voilage et voir la vie qui s’active dans la rue. Suivre un passant des yeux qui se dirige vers la place. Imaginer ce qu’il fait là et où il va. Un roman pourrait commencer là. Une vie pourrait recommencer. Une histoire ressusciter. Une femme un peu âgée marche avec difficulté. Elle trébuche puis retrouve l’équilibre. Quelqu’un s’arrête auprès d’elle. Des mots s’échangent. Les visages se sourient puis les corps se séparent. Chacun avance sur son chemin. On lève le visage vers le ciel. Il est pommelé comme on les aime. Pas de bleu insistant. Mais du bleu teinté de blancs. Du blanc à rêver. Rien que du blanc à songer. L’esprit s’évade avec les mots de Rimbaud. Un instant un sourire se dessine sur les lèvres. On s’échappe de la pièce. L’air est plus léger. On n’a pas bougé. On est toujours derrière le rideau qui revoile la fenêtre. Une légère torsion du corps vers l’arrière pour revenir à la réalité. Rien n’a changé. On est encore sur le seuil d’un au-delà. Rien ne traverse. On fait un pas vers. Puis on avance la chaise plus près. Sur l’oreiller le visage est immobile. Le souffle est si faible. Se tenir prêt. On ralentit son propre souffle. On se concentre sur sa respiration. Comme si cela pouvait aider. On est dans l’instant. On voudrait presque dire en pleine conscience. On ne bouge pas. Les mains sont posées sur les genoux. Le dehors n’est plus. Le regard se fixe sur une tache sur le mur opposé à la fenêtre. On voit une tache. Une tache qui a la forme d’une silhouette. Immobile bien sûr. On voudrait un peu d’air pour l’animer. On sait bien que cette pensée est ridicule. Mais elle traverse quand même. On penche la tête sur un côté. Le visage sur l’oreiller n’a pas bougé. On se sent seul. Face. Se dire qu’il faut tenir. Même si…Un roulement de chariot se rapproche dans le couloir. C’est l’heure du goûter. Dans la bouche un goût de terre.


A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.

Un commentaire à propos de “# Boost 14 | dans l’attente”

  1. … « dans l’attente de ce qui se rapproche »… »un roulement de chariot. ».. de l’informel au factuel… et l’image de la terre qui se fera accueillante. Fort, merci.