#mardis – 17 juin 2025 | Retour au village

L’autobus, après avoir marqué un arrêt que nous avions jugé énigmatique parce qu’intervenu sur un bord de route quelconque, au milieu de pour ainsi dire rien, une sorte de no man’s land, (peut-être le chauffeur avait-il détecté un comportement suspect de son véhicule, mais non, un homme, baluchon sur l’épaule, vêtu d’une veste fruste aux manches élimées, était finalement descendu où personne semblait-t-il, ne l’attendait, du moins était-ce là notre perception peut-être faussée par le fait que nous ne pouvions voir totalement ce qui se passait à l’extérieur), l’autobus donc, poursuivait sa progression, serpentant au milieu des champs, des rangées de vignes tirées au cordeau, longeant maintenant le canal bordé d’une ligne de platanes, épousant ses méandres quand, parvenu en douceur au sommet d’une côte, dévoilait à nos regards d’enfants le clocher de l’église qui était pour nous le signal d’une arrivée prochaine. 

C’était un clocher taillé dans une architecture massive, bâti sur un piédestal de terre et de roche tirant sur un rouge renvoyant à une matière argileuse, majestueux, hautain même, régnant sans partage sur un paysage de plaine. Le pont de chemin de fer sous lequel nous passions autrefois et qui faisait office de porte d’accès au village avait été détruit après la fermeture de la liaison ferroviaire. Le pont qui, dès l’entrée dans le bourg, enjambait une rigole tumultueuse était, quant à lui, toujours là, avec ses balustrades certes rongées par la rouille, mais remplissant son rôle avec la mansuétude des ponts. Suivait l’enfilade des maisons bâties tout le long de l’artère principale dont la plupart, à cause de la circulation toujours plus intense de camions, avaient été abandonnées par leurs propriétaires qui avaient migré sous des cieux plus cléments, troquant leurs pauvres biens pour des demeures un peu plus campagne. 

Les façades décrépites, les volets clos délavés par les vents et les pluies, donnaient à la traversée du village le visage de la mélancolie. Un jardin public de quelques arpents remplaçait à présent les maisons cossues où logeaient autrefois le médecin – un excentrique – et sa voisine la mercière qui, lorsque j’y accompagnais ma grand-mère pour des achats de fils, d’aiguilles et de pelotes de laine, m’autorisait à ouvrir comme des boîtes magiques, les tiroirs où étaient soigneusement ordonnés les boutons de chemises, de vestes et de pantalons. 

A propos de Serge Bonnery

Autodidacte, passionné de littérature en général et de poésie en particulier. J’ai publié trois récits (éditions de l’Amourier et éditions Le Temps qu’il Fait) ainsi que des textes dans des ouvrages collectifs et des revues. Je réalise parfois des livres d’artistes dans la compagnie de peintres et de photographes. Je pratique pour l’essentiel l’écriture de fragments. Ma participation aux ateliers de François Bon revêt un double enjeu : développer et améliorer mon écriture du fragment ; faire de l’écriture une pratique quotidienne. Mon blog : https://sergebonnery.com