#boost#12 Le café du Palais S.

Tu passais toujours sans oser entrer, tu regardais avec envie ces grandes baies en imaginant la vie derrière les vitres, il y avait comme une barrière, c’était select, c’était intime, caché derrière des rideaux, c’était inaccessible pour ta petite bourse

Tu guettais les ouvertures de la porte d’entrée en bois acajou vitré, doublée d’un autre panneau identique habillé d’un épais rideau rouge d’où s’échappaient des odeurs de chocolat et de café

Un jour, tu y es entrée, dès l’ouverture de la porte, tu as humé cette ambiance feutrée, tu as goûté ce silence presque religieux malgré l’affluence à toute heure, tu as cherché une place dans cette profusion de tables carrées aux plateaux en marbre, tu as choisi une banquette en cuir rouge plutôt que les fauteuils confortables au dossier incurvé en arc de cercle, fait de cuir et clouté de laiton, un mobilier solide, de tradition tout comme les lustres en laiton parés de chainettes en verre qui tremblotent au moindre courant d’air en étincelant

Tu es assise en face de ces grandes baies que tu admirais du dehors, grandes baies vitrées en arc de cercle rigueur adoucie rondeur maîtrisée. Tu es au spectacle, dehors, dans cette grande avenue, tu as vue sur une grande coupole verte d’église au loin, dans la rue on court après le tram, les voitures claxonnent, les vélos couinent, on ouvre le parapluie, on frissonne sous la neige, dans le café il fait toujours beau. C’est un lieu de refuge, détente presque solennelle, c’est un pacte entre la maison et ses hôtes.

Tu consultes la carte, la liste des cafés est longue, aux noms pittoresques invitant au voyage, espresso, capucin, fiacre, cappuccino, des mélanges avec ou sans lait, avec crème, avec de la cannelle, avec du chocolat, avec du rhum…

Tu examines la vitrine éclairée de la thèque où s’alignent les pâtisseries, les strudels aux pommes, les gâteaux à la crème blanche opulente, les forêts noires aux cerises rouges, les créations en chocolat coulant et glacé

Tu fais un signe à un des serveurs discrets au smoking élégant qu’on appelle Monsieur Karl ou Monsieur Jean et tu commandes ton café et ton gâteau préféré

A côté de toi, les habitués passent tout l’après-midi à la même table avec une tasse de café et un verre d’eau servi sur un plateau rond en argent, pour des rendez-vous d’affaires ou des rencontres entre amis

Tu trouves des journaux encartés dans des cadres en bois pendus à des crochets comme des manteaux ou des chapeaux, que tu peux lire tant que tu veux, tu peux consulter les annonces de spectacles étalés sur les tables ou affichés sur les murs de passage, et choisir ton programme pour la soirée

Tu peux aussi rester assise, regarder, écouter quand le piano noir au fond de la salle égrènera ses notes entre 5 et 7…

Le temps passe en douceur, le café s’est adapté à la modernité en préservant la tradition, c’est étudié, c’est voulu, c’est ce que les clients recherchent, c’est ce qui fait le succès. Tu le sais, mais toi aussi, tu te sens bien dans cette ambiance, cette atmosphère hors de l’agitation du temps et tu reviendras encore goûter le silence dans ton café viennois.

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.