Il ne faut pas bouger. Je ne dois pas bouger. Ce n’est pas une décision. C’est une nécessité. Devant la coiffeuse, face au miroir, face au reflet. Mon corps, mon souffle, mon sang tendu sous ma peau. Il ne faut pas bouger.
Si je bouge, tout lâche.
Je suis là depuis longtemps. Le vent soulève le rideau, le soleil éblouit le miroir par à coup. Les épaules me brûlent. Je sens ma mâchoire crispée. Je n’ai qu’une moitié de rouge à lèvre. Le tube a roulé sur le bord de la coiffeuse. Si il y a un coup de vent encore, il va tomber. Mais je tiens. Il faut tenir. Si je fléchis, si je tourne la tête, si je plisse les yeux…
Je n’ai plus le droit de faire un geste.
Je sens des parties de mon corps que je n’écoute jamais. La courbe de mon pied qui agrippe le tapis. L’arrière de mon genou. On ne sent jamais l’arrière de son genou. Sur le tissu en skai, l’arrière de mon genou sue. Le soleil est un peu plus haut. J’ai des rides que je ne m’étais jamais vues. Une mèche de cheveux glisse de mon bandeau bleu et se loge entre mes cils. Ca me dérange. Doucement, délicatement, je tords ma bouche mal maquillée pour souffler dessus. Ca ne fonctionne pas. Ca me pique l’oeil.
Le tube de rouge à lèvre glisse de la table et je sursaute. Sans me quitter des yeux.
Je suis une statue. J’ai vu dans le miroir. J’ai vu ou j’ai cru voir ? La bouche en coeur, à moitié rouge, j’ai vu dans mon reflet une autre femme me regarder. Et je ne lâcherai pas. Il faut qu’elle sache que c’est moi qui la regarde. Le souffle que je retiens n’a pas de nom. Je ne bougerai pas.
très bien menée cette immobilité et quelle chute!
Une vraie tension nous gagne . L’inquiétude monte et nous saisit dans ce face à face avec rouge !