recto | Trois lieux
1
Le salon de coiffure à l’angle de la rue. Grands rectangles des portes-fenêtres aux volets roses ouverts sur l’une et l’autre rue, celle qui monte et celle qui longe le boulevard du front de mer, et sur le trottoir la rumeur des feuilletons de l’après-midi. Un lieu troué où le dedans invite le dehors et réciproquement dans l’inégalité du pavé et les carrés réguliers du carrelage, brise de mer et ronronnement des ventilateurs mêlés.
2
Ligne nette et tranchante de l’horizon. Le ciel bleu acier, la mer plus douce, grise et bleue tout à la fois. Etale. Deux vastes plaques de nuances de bleu posé là l’une sur l’autre. Traversantes, sur la ligne de partage, deux voiles blanches, éclatantes. A gauche du phare, le rideau de pluie qui aveugle et le ciel et la mer, et les îles derrière l’écran d’eau.
3
Arrondi de l’anse tout contre l’abrupt des falaises à iguanes. Le tout vert contre le tout bleu et au creux le port de pêche entouré de la digue dont quelques énormes roches gisent encore au fond depuis la dernière tempête. La mer est transparente cet après-midi-là, calme et lumineuse. Le ciel et la lumière découpent la silhouette noire d’un pêcheur sur la jetée. Au loin, la rumeur d’un bateau à moteur. Posées sur la plage deux grandes nasses.
verso | Photomaton
Samedi au Super U, devant le photomaton. Un père et son fils devant la machine. Le petit garçon doit avoir cinq ans. Pas plus. Il bouge dans tous les sens. Ne tient pas en place. Le père ne se fâche pas. Il se tait. Le garçon appuie sur les boutons. Au hasard. Le père penche la tête à l’intérieur de la cabine, sourcils froncés. L’un des deux agents de sécurité s’approche. Il a reconnu le garçon. « C’est votre fils ? Il est dans la même classe que mon garçon. » L’agent sourit. Alors le père sourit. Timidement. Il ne sait pas. Il ne va jamais le chercher à l’école. « Vous voulez de l’aide ? » Le père sourit, s’écarte un peu et laisse l’agent de sécurité prendre les commandes. L’enfant se tait : il semble impressionné par la carrure de l’homme. Ses lèvres déchiffrent de façon muette le mot « SECURITE » sur le t-shirt noir. L’homme l’installe sur le tabouret coulissant, réajuste la hauteur, un œil sur l’écran, tout en expliquant ce qu’il fait. L’enfant et le père écoutent. Ils regardent faire. « On ne bouge plus. » Les trois s’immobilisent. On dirait qu’ils s’arrêtent même tous de respirer. « Et voilà le travail ! » Le père sourit et remercie. On l’entend à peine. L’agent frotte le dos du garçon et lui ébouriffe les cheveux, puis rejoint son collègue. Le père récupère les photos imprimées, puis ils quittent le supermarché, lui le dos un peu voûté, son fils un peu devant, sautillant. L’agent les regarde. Le garçon ne sait pas encore tout à fait lire. Le père, lui, aimerait pouvoir l’aider.
Photomaton (2) (en plus bref)
Un samedi au Super U. Un père et son fils devant le photomaton. Le garçon s’agite, appuie sur les boutons. Au hasard. Le père penche la tête à l’intérieur de la cabine, sourcils froncés. « C’est votre fils ? Il est dans la même classe que mon garçon. » Le père se redresse. L’’homme sourit. Alors le père sourit aussi. Timidement. « Vous voulez de l’aide ? » L’enfant s’est tu : il semble impressionné par la carrure de l’homme. Ses lèvres déchiffrent de façon muette le mot « SECURITE » sur le t-shirt noir. L’agent installe l’enfant sur le tabouret coulissant, réajuste la hauteur, un œil sur l’écran, tout en expliquant ce qu’il fait. L’enfant et le père le regardent. « On ne bouge plus ! » Plus personne ne semble respirer. « Et voilà le travail ! » Le père sourit et remercie. L’agent frotte le dos du garçon et lui ébouriffe les cheveux. Le père récupère les photos imprimées, et s’en va, le dos un peu voûté, son fils devant, sautillant. L’agent les regarde. Le garçon ne sait pas encore tout à fait lire. Le père, lui, aimerait pouvoir l’aider.
Textes magnifiques. Sentiment de plénitude.
Merci Louise pour ta lecture !
Merci pour ces textes-tableaux magnifiques et la scène finale pleine de sensibilité .
Merci Carole pour ce retour. La scène finale a eu besoin d’une journée et un soir de maturation 😉 pour trouver les mots.
Beaucoup aimé la concision des trois premiers fragments. Je me demandais si la même concision aurait pu marcher pour la scène du Photomaton. Merci Emilie !
Merci Cécile ! J’ai eu l’impression que la scène avait besoin de plus de dépli même si, à l’écouter, mon écriture aime en effet le concentré. J’aime ces exercices du bref.
Ça vaudrait le coup d’essayer non ? Tu le dis toi-même « mon écriture aime en effet le concentré », le « bref ».
Contente de te retrouver ici 😉
Oui, Emilie, beaucoup de sensibilité, de douceur dans ces tableaux. On respire à son aise en ce « lieu troué où le dedans invite le dehors ». Et bravo pour le respect strict de la consigne ! ça n’était pas si évident.
Merci Serge. J’ai aimé cette proposition. J’aime le fragment. Et puis le réel m’a offert sur un plateau de quoi écrire ma scène, librement inspirée et recomposée à partir d’une scène vue au supermarché. Mais j’ai dû remplir les trous avec ce que j’ai cru comprendre de ce que j’ai vu et les impressions qu’elle avait laissées en moi.
Pardon d’insister Emilie, mais la scène avec trous ne gagnerait-elle pas en profondeur ? en plus condensée ?
Merci Cécile !!!! Excellent exercice ! Publié ! (je laisse les deux textes).