RECTO
À la sortie de l’impasse qui mène à la maison de mes parents se trouve une maison couleur crème à la baie vitrée donnant sur la rue. Construite sur une butte, la salle à manger est séparée de la rue par un jardin remontant du muret, servant de retenue de terre, jusqu’au patio. Au départ d’un jogging, je salue ma voisine pour la première fois depuis quatre mois. Elle se déplace en déambulateur vers le muret, habillé d’un cardigan jaune qui glisse d’une de ses épaules. Affaiblie, le regard craintif, elle se déplace vers le muret. Ses cheveux habituellement teints laissent percevoir des racines blanches sur quelques centimètres. Elle n’est pas allée chez la coiffeuse du village depuis mois. Suite à une chute – je l’apprendrais quelques jours plus tard. Sortant d’une hospitalisation complète, elle est amaigrie et n’a pas encore pu reprendre ses habitudes et ses sorties quotidiennes. Je continue mon jogging vers les chemins agricoles à l’extérieur du village, entre les champs de blés prêts à être récoltés et ceux de maïs encore jeunes.
Malgré la canicule, la salle de gymnastique est pleine. Les gymnastes s’étirent et s’échauffent muscles et articulations. Un d’entre eux, la trentaine, t-shirt noir, pantalon noir, coupe de cheveux propre et barbe bien définie, tourne les bras en arc de cercle. Son nom m’échappe bien que je le connaisse depuis 7 ans. Il est plaquiste. À force de soulever le matériel, son épaule a pris un mauvais coup, effritant le cartilage à l’intérieur de la coiffe du rotateur. Il en souffre au travail et à la gymnastique malgré son jeune âge. Il vient à chaque séance avec un grand sac noir dans lequel se trouve une corde à sauter, des élastiques et un appareil de massage en forme de pistolet avec une boule vibrante au bout. Il l’applique pendant de longues périodes sur son épaule gauche de son bras droit. Alors que d’autres s’entraînent, il se déplace, jette des coups d’œil dans le miroir, discute avec les mêmes quelques personnes, toujours avec ce pistolet en appui la zone qui le lance. Lorsqu’il est prêt, il s’entraine à faire des maintiens en équilibre, d’abord à deux mais puis sur une. Ensuite il fait des muscles-ups avec une grande fluidité sur les barres de gymnastes. Habitant dans un petit village agricole, il retourne chez lui habituellement quarante-cinq minutes avant la fermeture de la salle de sport. En traçant le chemin à travers le praticable, il salue quelques personnes de la main et repart à travers les grandes portes vitrées de la salle de gymnastique.
Ma mère, lunettes sur le front, polo vert et short rose, est à la table du salon et à devant elle sa tablette sur son porte-livre. Un livre pour enfant y est affiché. Concentrée, elle s’apprête à appeler sa fille à une heure convenue pour lire une histoire à sa petite-fille de quatre ans. Mère et fille et petite-fille se sont arrangées pour qu’elles aient tout deux le livre. La sonnerie du téléphone et la tablette sonne et ma mère décroche sur des voix d’enfant et la voix de ma sœur, tel un bloc de gravité, une question entrecoupant les gazouillis et babils. Une fois l’attention de ma nièce saisie et concentrée sur le livre. La vieille femme interagit avec sa petite nièce et elles parcourent le livre à deux. Page par page, elle lui pose des questions sur les images et lui lit le texte. Stimulée et habituée par la chose, ma nièce profite de ce moment pour montrer ses nouveaux habits, des jouets, des créations et demander à voir son grand-père. Elle a permis à ce que du lien entre ses parents et ses grands-parents reprennent.
VERSO
Une salle des fêtes avec une dizaine de table disposées en U. À chaque table, une professionnelle de santé ou quelques membres associatifs présentent une thématique. Prévention et dépistage des cancers, addictions en tout genre, AVC, infarctus… Loin des grandes villes, la politique de santé territoriale va à la rencontre des usagers pour faire de la prévention et des diagnostics en tout genre. Très peu de personnes sont présentes ce jour de semaine dans ce village de mille âmes. Nous sommes à une trentaine de kilomètres de la ville la plus proche. La vingtaine de personnes présentes sont certaines dans le besoin. Une fois entrées dans la salle municipale, elles passent devant le bar où elles peuvent avoir un café. Puis, elles passent de stand en stand. Notre table est la première sur la droite à l’entrée. Nous vérifions leur tension, leur niveau d’oxygénation, leur taux de glycémie et leur rythme cardiaque. Les associations suivantes proposeront d’autres dépistages ou méthodes de préventions. J’échange quelques propos avec les membres de l’association. Trois femmes retraitées. La femme du président, ancienne comptable. « J’ai toujours aimé le travail bien fait mais ça prenait du temps et ensuite ils ont décidé d’employer quelqu’un d’autre pour faire mon travail mais y’avait plein d’erreurs. C’est peut-être ma nature d’aller doucement et de faire bien les choses. » La secrétaire. « J’avais décidé de passer un concours de la Fonction Publique pour faire plaisir à mon père et je ne l’avais pas prévu mais je l’ai eu. Après j’ai eu mon poste et lorsqu’ils ont pris une seconde personne, j’ai cherché à quitter le poste puisque je voyais qu’il n’y avait plus assez de travail pour deux. Le responsable de l’urbanisme est venu me chercher et m’a dit de rejoindre son département. J’y connaissais rien à l’urbanisme mais il m’a dit qu’il ne serait pas venu me chercher s’il ne pensait pas que je pouvais y arriver. » Une retraité du secteur médical. « J’aime beaucoup aller au cinéma. J’achète Télérama juste pour lire les critiques de films. Juste pour ça. J’aime beaucoup. » Un vieil homme habillé d’un pantalon de chantier sombre, t-shirt vert et casquette brune, délavés par le soleil par le soleil entre et cherche un peu son chemin avant de venir vers notre table. « Pouvons-nous vous proposez un dépistage? On fait la tension, l’oxygène et la glycémie… » Il secoue la tête en faisant la moue. « Oui, oui, allons-y… » « Installez-vous. » « Là, je viens voir parce que j’ai besoin d’aide. J’arrive pas avec les médecins. Je comprends rien. » « Okay, puis-je avoir votre âge? » « Cinquante-trois… Vous savez j’ai bossé dans le bâtiment et après j’ai travaillé en forêt. » Un peu voûté, les cheveux blancs coupés courts à la tondeuse sous sa casquette, ses yeux rougis par la fatigue et le soleil nous cherchent du regard. « Mais là, en forêt, voilà, j’ai plus de sensations là et la nuit, ça serre. Alors avec la tronçonneuse en forêt la dernière fois, vlam. » Il se touche la main et le bras gauche et mime les actions pendant qu’il parle. « Ah oui! » « Vous voulez dire dans la main ou tout le bras? » « Partout. Là, j’ai pas de travail donc je peux pas payer les frais de médecin pour l’instant. » « Monsieur, vous avez mangé à quelle heure votre dernier repas? » « Oh midi… Mais quand je leur dis que je peux plus travailler à cause du manque de sensation, ils veulent pas me soigner parce que j’ai pas d’argent. » « Le taux d’oxygène, 98 et 77 pour le pouls… » « C’est bon ça Monsieur. » On parle à tort et à travers. J’écoute en le soutenant d’un regard attentif. « La dernière fois, j’étais avec la tronçonneuse, et plam, ma main, elle la tient plus. Je lui dit à l’autre « Attends t’as vu ça, c’est pas normal. Faut que j’arrête… » Le médecin me dit « Allez hop, ça s’est rien, c’est la fatigue. » Mais si c’est la fatigue, l’autre main elle est bien, si c’est la fatigue, pourquoi c’est qu’une main? Je vais voir pour Lyme, parce que en forêt, on se fait piquer, tu sais quoi? 63 % j’avais… » « Monsieur, vous avez un historique de tension? » « Non, non… » « Oui, je comprend. » « 128, 68 et 78 pour le pouls » « C’est bon Monsieur, vous ne faites pas de tension. » « L’absence de sensation, c’est chronique ou par vague? » « Mais tout le temps, partout. » « Mais partout… comment ça? » « Je peux vous piquer le doigt ? Ça ne fera pas mal. » « Oh allez-y! De toute façon je sentirai rien… » « L’autre bras aussi? » « Oui ! Partout… les deux et le soir, ça me fait peur parce que ça picote maintenant et les veines sont super gonflées parfois. » « Tenez ça pour vous couvrir le doigt. » « Que disent les soignants? » « Là j’étais l’autre jour, à l’Hôpital de M……, y’a rien jusqu’en 2026… D’ici là, c’est… » « Oui… » « 1.04 » « Êtes-vous allé à celui de C…..? » « Pour la glycémie, c’est bon aussi. » « Oui, c’pas possible. Ils veulent pas parce que je suis déjà allé à N… et à M…., et j’ai pas pu payer mes factures là-bas et eux, ils veulent pas me faire faire les tests parce que je ne travaille pas et la MSA, ils disent nan. » « Avez-vous pu voir avec une assistante sociale? » « Oui, mais bon faut que j’attende… c’est pour ça que je viens. » « Vous, vous avez essayé d’aller à l’Hôpital de C……? » « Oui! Ils ont dit non… Parce que je suis aller dans les autres hopitaux et maintenant les docteurs refusent de me prendre… Quand je suis allé me faire piquer, je sentais rien du tout. Deux doses comme ça. Il me les fait. Il me dit « C’est bon c’est terminé ». Je savais même pas que ça avait commencé. J’avais rien senti… Grosse comme ça, elles étaient. » « C’était pour le Covid? » « Non , non Lyme » « Ah oui ». « Bon, c’est comme ça… » « Bon, autrement vous avez de bons résultats… » Le temps entre les paroles s’espace et il se réajuste sur sa chaise puis se lève. « Merci! » « De rien. » « Merci à vous. » « De rien Monsieur. » « Bon courage à vous. » L’homme continue sa recherche de soin.
Bonjour Nicolas, merci pour les textes. Beaucoup aimé les premiers recto, et avoue avoir eu un peu de mal à comprendre le dialogue du verso. Mais c’est bon de vous lire.
Bonjour Clarence, je vous remercie pour le retour. En effet, ils méritent quelques relectures encore.