à ce stade de la nuit
.1. à ce stade de la nuit je m’exécute je -la-pénètre ; je ne me pose pas de question, on me dit d’y aller, alors j’y vais, j’entre. Je ne demande ni pourquoi, ni comment, j’entre. Je ne fais pas d’histoire. J’obéis. 2. à ce stade de la nuit c’est quand je veux où je veux par-dessus par-dessous par les bords par les pieds à tout prix et de face à côté sur un fil deux par deux en solo aussitôt par ici ou par là à présent et naguère et tantôt sur le champ prendre part pendant que .3. à ce stade de la nuit je transpire à grosses gouttes, ma main moite balafre le temps, j’ai buté sur son visage d’un geste de sous-pente à tâtons dans le noir à toucher sa chair, un décor si lisse .5. à ce stade de la nuit l’écran devient noir et je m’affiche en grande parade ; avant d’entrer j’ai pris soin de -la- photographier ; maintenant elle circule sur les réseaux sociaux par voie rapide .6. à ce stade de la nuit je suis rentré comme lapin gisant avec perdreau au milieu de portraits sans nom comme des retours de chasse, trophées capotés, en civière la bête, et la femme à l’hermine .7. à ce stade de la nuit je suis rentré sans ambiguïté sous l’œil du spectateur un œil plus large que mon désir plus intense dont les rayons coupent le plan de projection assis sur le lit la chemise dégrafée et les ombres de l’affreuse tyrannie.
Route perdue
Je le sais par les sons étouffés que c’est la nuit et par les phares en pleine face qui me font sursauter, à ce stade j’accélère quand les voitures me frôlent et que je suis prise dans leurs phares, happée fascinée par LA large ligne jaune tracée au sol, la musique prend tout à coup le pas et me revient en tête, étrange, cinglante comme une aventure, qui va mal finir, on le sait souvent dès le début du film, l’agitation s’accroit et c’est folie d’être ensorcelée par ce perdu de route, comme focale impossible à détacher, et la musique obsédante, qui allait m’emmener au personnage du nain, mais non, c’est bien sûr tout de suite sous mon regard qu’apparait la maison blafarde, on avait reçu des vidéos dans la boite aux lettres, un étrange étranger les déposait chaque matin comme un laitier et on voyait sous nos yeux de plus en plus effarés défiler notre vie sur cette télévision, sans comprendre comment quelqu’un avait réussi à nous filmer entrain de dormir, la peur était telle qu’on avait appelé les flics, et ils n’avaient rien trouvé à dire, peut-être qu’ils s’étaient mis en quête de nous surveiller je ne sais plus, mais le film toujours aussi flippant, et lancinante la musique, la ligne à pas dépasser, la route qui filait dieu sait où, j’avais souvent rouler seule comme cela sur des voies que je ne connaissais pas dans des pays dont j’ignorais la langue ces situations d’étrangeté je les avais clouées dans mon corps comme dans ce cinéma, où les voisins n’existaient plus, comment le pourrait-il, le caissier, tout juste si je m’en souviens encore, mon corps sur le fauteuil de plus en plus lourd, mes yeux égarés de plus en plus collés à la paroi de la vraie vie palpitante de la projection avec ces âmes qui flottent en quasi bouillie mentale prêtes à suffoquer on ne sait plus et quand on sort du cinéma un large-plan pour savoir que non on n’est pas morte égorgée par son mari dans un bain de sang.
Fort et poisseux comme la nuit la plus sombre ! Envoûtant et troublant. Merci !
merci infiniment pour votre lecture, j’ai « repris » le mot -poisseux- pour le # 03, il me plaisait bien ! il y a des mots qui nous marquent ; on se souvient où on les a lus/entendus pour la 1ère fois (j’aime à avoir ce type de souvenirs / ce n’est pas le cas pour celui-ci mais voilà ..)