#rectoverso #03 | parfois il y a des coyotes

Il y a un moment qu’elle est là, assise dans le bar, près de la fenêtre. Il y a des jours où elle reste à peu près sans rien faire, malgré les idées qui la submergent, les souvenirs aussi. Il y a toujours un moment où elle se secoue, se met à écrire ou au contraire plie son MacBook, le glisse dans le sac à dos et se casse. Elle se casse, c’est le terme. Personne ne comprend ce qui fait qu’en dix secondes elle passe d’un être amorphe devant l’ordi à une furie qui sort, sac à l’épaule, en disant je me casse, sans attendre de réponses. Il y a toujours ce moment de bascule. Il y a ces trucs en dedans qui frappent, entre la colère et la tristesse, de ces trucs qu’il y a longtemps qu’elle traine. Il y a eu la prison, il y a eu la violence. Il y a encore la violence, dès qu’elle allume l’ordi, qu’elle lit le journal. Il y a la rage qu’elle sent et qui la pousse. 

Oui, c’est ça, c’est la rage. La rage est son énergie. Oui, parfois on la prend dans la gueule, oui. Tu lui demandes si ça va, tu t’attends à un oui et toi? et ça part. Qu’est-ce que ça peut te foutre? Dégage connard. Puis elle revient, peu après, et d’une voix douce, oui, ça va, ça va maintenant, oui. Excuse-moi, tout à l’heure, je sais pas pourquoi j’ai répondu comme ça, mais oui, ça va. Je suis contente que tu m’aies demandé si ça va, oui. Des fois, je voudrais dire des choses, pas que oui ou non. Mais mon français me bloque. Oui, retiens oui, garde oui. Ça va, ça va toujours mieux ici. Oui mais j’ai la rage. Tu sais ce que c’est la rage? Oui, tout le monde sait ce que c’est. Mais moi, oui, la rage, elle est dans mon coeur, elle est là, oui, et je suis en colère, toujours, oui, et j’aime, fort, oui, et ça me met en colère, oui, c’est ça, j’ai la rage parce que j’aime la vie, j’aime les animaux, oui, tous les animaux, même les rats, même les araignées, même les coyotes, et j’aime aussi les humains, oui, et je les hais, oui, je les hais, parce qu’ils tuent les animaux, ils piègent les rats, arrachent les arbres, détruisent les insectes, écrasent les araignées, tuent les coyotes d’une balle dans le flanc et une autre dans la tête, oui, comme ça, et après, ils laissent le coyote sur le bord de la route, je l’ai vu, oui, je l’ai vu, parfois, la nuit, il y a des coyotes, je l’ai vu, oui, je l’ai vu et j’ai entendu tirer et les hommes rire, oui, ils riaient et cette nuit-là, j’ai rêvé au coyote, oui, et depuis j’en rêve encore, oui, j’en rêve encore

10 commentaires à propos de “#rectoverso #03 | parfois il y a des coyotes”

  1. Bonjour Philippe, depuis hier, je tourne et retourne, recto et verso, la proposition #3 de François sans vraiment trouver un chemin pour m’y engager. Ta contribution m’offre une ouverture, merci de ton aide. Et merci pour ton texte qui m’a beaucoup plu et qui m’inspire.

  2. tant mieux Émilie, si j’ai pu débloquer quelque chose. Je suis impatient de te lire

  3. Comme Émilie, je viens voir par ici comment une trame peut se faire inspirante. Comme toi Philippe, je comprends qu’il s’agira de faire bouger le texte à coup de il y a. Grâce à toi on peut sent comme ça peut porter loin. Merci !

  4. Merci oui merci pour la véracité du personnage de votre rebelle, merci pour vos mots.