#rectoverso #03 | Il y a un père

RECTO

Il y a un père qui vend sa fille par mégarde et qui lui coupe les mains.

Il y a un père qui ne fait pas de différence entre ses deux enfants et s’y prend à deux fois pour les abandonner dans la forêt, avant d’en rejeter le blâme, quand ils sont grands, sur sa seconde épouse, morte enfin.

Il y a un père qui laisse sa fille la plus jeune prendre la place de feu son épouse dans la maison, puis sa place à lui quand la mort le guette.

Il y a un père qui veut prendre sa fille pour femme quoiqu’il en coûte.

Il y a un homme qui ne veut pas être le père de l’enfant qui a tué son épouse en naissant.

Il y a beaucoup de pères et pas beaucoup de mère dans ces histoires que je dis et que j’écris pour finir.

Et le père, il ne revient pas à la fin ? m’a demandé Romain. On n’est pas chez Demy, les fées ne se laissent pas épouser par le premier revenu de sa folie. Le père a fait son office : sa fille est partie. Une fois sa mission accomplie, il s’autodétruit. Quand même, il pourrait venir s’excuser… à quoi bon ? On a déjà assez parlé de lui, il a déjà assez parlé de lui, occupé le terrain avec son deuil qui met tout le monde sur la paille de la misère noire. Le temps est à l’action, Peau d’Âne entre à la cour du Prince.

Il y a beaucoup de pères vivants, cupides, veules, défaillants. Une collection. Et chaque fois, ils restent derrière, il n’en est plus question. Aucun ne meurt vraiment, ce n’est pas nécessaire. Pourquoi m’a-t-on tant bassinée avec des « il faut tuer le père », alors qu’il suffit de tourner la page d’un conte, pour tous les régler.

Il y a un père et manque.

Il y a un père et puis s’en va.

VERSO

Ceci est un extrait du Journal d’un Mot, An [I-III], où figurait une entrée OUI, qui a disparu dans les éditions suivantes.

15 / 06 [oui]
Vincent l’a dit. Ion l’a dit.
Toute la salle a applaudi.
A pleuré de ce que le chemin soit si long qui mène
à la simplicité,
Alors même que si peu de temps
Dans ce jardin nous est donné.


Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle
Oui je viens en son temple adorer l’éternel
Oui, je respire, Arsace, et tu me rends la vie
Oui, je te loue, ô Ciel ! De ta persévérance
Oui, je tiens tout de vous, et j’avais lieu de croire
Oui, Madame, il est vrai, je pleure, je soupire
Oui, Seigneur, j’ai toujours adoré Bérénice
Oui. Comme ses exploits, nous admirons vos coups
Oui, Madame, vers vous j’ai rappelé ses pas
Oui, les Grecs sur le fils persécutent le père
Oui, mes voeux ont trop loin poussé leur violence
Oui, oui, vous me suivrez, n’en doutez nullement.
Oui, je bénis, Seigneur, l’heureuse cruauté
Oui, je me reconnais, je suis toujours la même

L’aveu du oui en ouverture de vers. Son poids qu’on laisse là.Le soulagement qui s’en suit. Peu de choses nous peuvent également
donner à entrevoir la liberté. Un animal qui court dans la
forêt.


À l’opéra, les Si et les No, on les prend à la légère, on les aurait
mis là pour boucher un trou, pour permettre une note finale ou le
nombre exact de pieds dans un vers. On n’y fait plus attention.
On croit qu’ils ont la même valeur qu’un Ah ! qu’un Oh ! Dans la
vie quotidienne pourtant, dire non coûte autant que dire oui, pour
qui porte le poids de sa propre parole. Les deux petits mots engagent,
protestent de l’engagement dans un sens ou dans l’autre.
À la mode profane, ils signifient : en vérité, je vous le dis.

A propos de Emmanuelle Cordoliani

Joue, écrit, enseigne, met en scène et raconte des histoires. Elle a été décorée par Beaumarchais ( c'est un raccourci mais pas une usurpation ) et elle travaille avec la même équipe artistique depuis des lustres ( le Café Europa ) ce qui fait sa fierté et sa joie. Voir et explorer son site emmanuellecordoliani.com

8 commentaires à propos de “#rectoverso #03 | Il y a un père”

  1. Des il y a comme des coups de poings et leurs il y a en conclusions en coup d’épingle, ton retour sur les oui et contrechamp de Ah et de Oh qui renforcent leur présence choisie.
    Bonne suite !

    ( tu devrais aller voir ce que Emmanuel Adely vient de faire dans 3 contes et quelques autres chez Vroum – ça ébouriffe pères et filles – je veux dire qu’il décortique encore autrement les fausses évidences).

    • Merci Catherine pour la visite, la synthèse percutante et la référence que je vais creusée de ce pas.

  2. La puissance des contes peut-elle déjouer la capacité de nuisance des pères ?
    Belle tentative en tout cas

    • Merci Muriel. Pour moi, l’affaire est un peu plus compliquée : dans les contes, nous sommes tous les personnages, comme dans les rêves.

  3. Ces pères de contes, ces comptes de pères, ça mène loin. J’ai lu un jour une étude disant qu’il y avait traditionnellement des contes « féminins » (la pauvre petite qui épouse le prince charmant à la fin de ses épreuves) et des contes « masculins » (le pauvre petit qui épouse la princesse etc.). Mais la figure du père / de la mère / de la belle-mère (je ne sais pas s’il y a des beaux-pères) n’était pas étudiée.

    • Bonjour Laure,
      Pour te parler franchement, je ne crois pas à une répartition genrée des contes. Le masculin et le féminin s’y côtoient comme en nous-mêmes puisqu’on considère que l’ensemble des personnages d’un conte forme une psyché humaine. Je n’ai pas souvenir d’avoir croisé un beau-père. Mais pour ce qui est des marâtres, elles n’apparaissent véritablement qu’au XVIIIe siècle, au moment où l’on commence à glorifier la figure de la mère. Il devient alors inconcevable de mettre en scène une mauvaise mère. On la remplace donc par une belle-mère, ignorante des liens du sang avec l’enfant-héros du conte.

      • Bonjour Emmanuelle, c’est très intéressant. L’étude (ma lecture remonte à au moins 20 ans, je ne sais plus ce que c’était exactement) m’avait intéressée pour l’aspect socio-historique des personnes qui racontaient et se racontaient les contes, qui pouvaient s’y identifier, dans un contexte antérieure à leur mise par écrit au 17e siècle. Cela dit je n’ai aucune idée de sa valeur. Je m’intéressais à l’époque à La Belle au bois dormant, pour une nouvelle « Les Peurs » que j’écrivais alors.