Il y a cette joie d’y arriver. Suffit d’accepter de surmonter la ville, les jambes écartées comme tuteurs de plein corps, l’appui essentiel pour tenir, pour regarder, pour être des bras qui saisissent et replacent, des bras qui font la belle étoile dans le grand parc à ciel. Ils se redressent et travaillent avec les yeux. De temps en temps les blagues comme de tomber dans la mare, les tuiles glissantes sous la pluie qui crachine, les ardoises inégales qui ouvrent les doigts. Tout en bas c’est une cacophonie qui murmure, on n’entend pas ce qui se dit distinctement. Alors depuis là-haut, les mains agissent seules, coupées des bruits. Il faut rentrer dans le grain chaud de la terre cuite, oublier tout ce qui peut surgir, les oiseaux qui ourlent les épaules. Les ouvriers sur les toits n’ont plus rien dans la tête.
Il y a ce jaune qui fait des joies dès que t’approches, des granulés de petites noix dans la pupille si le soleil tape.
D’un bord à l’autre on s’envoie des coups de sifflet entre les dents, on comprend les codes, et ça fait moins fatiguer le corps. Juste de l’air poussé de biais entre les dents, et c’est ok pour toi.
Autrefois, il y avait cet acharnement à empiler les heures, et la vie inconfortable à côté. Alors c’était au gré de la marine, le tempo lent, embourbé de vapeurs d’alcool, les verres trop pris dans le bistrot de la veille. Et puis ça venait, il y avait la suite : la chute monumentale au pli du lendemain, mal perché sur les toits, avec ce casque à boulons dans la tête.
Dans ce ciel-là, y a jamais de femmes qui marchent sur le gril, c’est une affaire solide de se hisser là-haut. Le grand plateau bancal devient un ordre intime. Assurance dans le déséquilibre, recherche du sang qui bat dans les tempes. Pas de tête qui fleure les étoiles, pas de bras en balanciers. Rien ne danse. Il faut des brutes lagunaires qui broutent de leurs mains, avancent en macaques sur les parcelles de tuiles, gargouilles infâmes sans joie ni hargne. Juste les mains, frôlent savantes. Remplacent les tuiles endommagées par des idées plus neuves. Les choses décadentes seront jetées au sol, quasi mortes déjà de tant de trous creusés.
Il y aura quand même le temps du mégot, petit bécot de ciel dans la frimousse – glissé dans la poche à peine éteint, qui brûle encore le tissu et la peau. Les braises ils connaissent, c’est ce qu’on sème en bas du dos quand faut tenir toute la journée, comme animal de cirque.
des bras qui font la belle étoile dans le grand parc à ciel, les blagues comme de tomber dans la mare, le temps du mégot, petit bécot de ciel dans la frimousse… magnifique et bien ajusté
Un grand merci Catherine, c’est grande joie de te lire, et j’ai tellement aimé ton texte…
Cette image du travail, et de l’espace du danger et du geste, elle est à garder, elle nous prends aux lombaires, et l’absence des femmes qui produit des images plus fortes encore,
Quelle surprise Catherine ! pour moi tu es toujours en errance, jamais dans la même crique abandonnée, alors te retrouver ici… je n’imaginais pas du tout, ce que tu dis sur ce passage, je n’imaginais pas que ça puisse ouvrir autre chose… on ne parvient jamais à entrevoir ce qui se trame dans l’écrit
ton texte sur les jours et les enfants est absolument splendide
le titre nous éclaire pour entrer dans la matière de ce travail dur et périlleux, jambes écartées comme sur le pont d’un navire, pire encore comme perché en haut du grand mât pour choquer ou reprendre de la voile par gros temps…
tu fais passer cela dans tes mots acharnés
j’ai eu la vision aussi des indiens qui travaillaient à la construction des gratte-ciels de New York, indifférents au vertige et à la fatigue
merci Françoise
il y a, il y avait, il y aura….
Françoise, toute cette poésie qui file, file dans tes messages, ta réception des textes est ultra sensible, des antennes d’insectes
Françoise la messagère
tes mots portent loin
Merci pour la force de tes images qui nous attrapent le corps Françoise et sur ce grill là haut j’ai eu comme un vertige de théâtre