#Recto Verso# 3- Recto « Il y a La Tène A »

Il y a La Tène A et puis la B qu’il ne faut surtout pas mélanger. Il y a des tasses quadrilobées et glaçurées très décorées. Il y a de la sigillée d’Argonne estampillée. Il y a à Bobigny, sous l’hôpital Avicenne, la nécropole laténienne et tous ses macchabées. Il y a ces trous de poteaux, ces fosses et ces fossés que nous avons inventoriés.

Il y a la ville où nous nous étions retrouvés, celle où nous nous sommes quittés. Il y a les cours d’eau des sous-bois et leurs mélodieuses mélopées, nos pas lents et nos mains enlacées. Il y a cet instant de bonheur dont je sais très bien qu’il ne va pas durer. Il y a toi et ton refus de coopérer. Il y a beaucoup trop de non et pas assez de oui. Il y a tellement de soi et plus assez de toi. Il y a toutes les autres directions que nous aurions pu prendre. Il y a l’annonce de notre séparation. Il y a la sensation violente d’une lame de fond et l’engloutissement de notre passé.

Il y a le Retablillo de Don Cristobal. Il y a le Pulcinella-ballet d’Igor Stravinsky sur les musiques de Pergolèse. Il y a Pinocchio dans le ventre d’un cachalot. Il y a toutes les sottises de Nasreddine Hodja. Il y a des chaussettes vertes qui sont en réalité bleues. Il y a la petite chèvre blanche perdue dans la forêt et le loup qui va la croquer. Il y a « Que ma joie demeure » par la compagnie « Manger le Soleil ». Il y a le mot mendigote et le verbe zozoter. Il y a Mon bel oranger juste avant Allons réveiller le soleil.

Il y a la douleur aiguë et lancinante. Il y a les urgences saturées et les sous-effectifs hospitaliers. Il y a les chambres à partager, la promiscuité imposée, la découverte de l’Autre, la solidarité et l’amitié. Il y a la paralysie, l’immobilité sur un lit. Il y a 91 jours, 2192 heures, 7892448 secondes à égrener. Il y a l’apprentissage de la dépendance, les aides-soignants qui vous changent. Il y a les radios, les scanner et les IRM. Il y a les diagnostics et les pronostics. Il y a la double embolie pulmonaire et les kystes anévrismaux dans le dos. Il y a les médecins angoissés et les infirmières traumatisées. Il y a la kiné, les amis et la famille au chevet. Il y a un jour où l’on est rassurée puis réparée.

Il y a la folle envie d’énumérer, le désir d’associer. Il y a les balbutiements de l’écriture. Il y a la musicalité des consonnes et des voyelles. Il y a l’amour des consonances et celui des mots et phrases impossibles à oublier. Il y a la page vide et le trop plein d’idées. Il y a le style qui s’absente ou qui n’est jamais né.

Il y a les colères de Philippe Noiret. Il y a la beauté foudroyante de Romi Schneider incarnant Katherine Mortenhoe. Il y a les Cendres de Gramsci de Pasolini. Il y a la poésie haletante de Gherasim Luca.

Il y a les embrouillamini, les pensées alambiquées et les quiproquos. Il y a les sacs de noeuds, les pagailles et les fatras. Il y a des aïeules au patronyme de Tête Folle. Il y a des ascendants fantaisistes et d’autres bien trop traditionalistes. Il y a des héritages au désordre charmant et d’autres si pesants.

Il y a nous en mer en hauturière et de la rumba dans l’air. Il y eux sur la jetée. Il y a près, travers, grand largue et vent arrière. Il y a nous qui hissons, affalons, bordons et choquons. Il y a la mer d’Hirwazh, Ouessant et Molène. Il y a le silence, puis la tempête et le ressac.

Il y a trop de cadavres dans la Méditerranée. Il y a tous ces endroits du monde où femmes et enfants sont exploités. Il y a le pillage des minerais congolais par les voisins du Rwanda et de l’Ouganda. Il y a les violences systémiques, les génocides et toutes les atrocités que l’être humain est capable d’engendrer.

Il y a l’effet papillon et le grain de sable dans l’engrenage. Il y a ma peur au ventre et mes jambes en coton. Il y a quand je fais bonne figure ou que je montre patte blanche, il y a quand je tire les ficelles.

Il y a moi dans ma bulle qui reste porte close ou marchant sous la lune en écoutant le vent panser mes plaies.

A propos de Pascale

Attirée par les mots depuis l’enfance, j’aime tout particulièrement la littérature et les arts de la marionnette. Doucement mais sûrement, les livres ont envahi ma vie. Ils m’entourent dans ma sphère privée autant que dans mon univers professionnel. Timide avec l’écriture mais souhaitant m’enhardir et mieux retranscrire mes émotions, je me lance enfin dans le grand bain…

Une réponse à “#Recto Verso# 3- Recto « Il y a La Tène A »”

  1. …et il y a la tombe de Vix (Halstatt D) autour de laquelle tourne mon manuscrit en cours… Je me suis arrêtée pour lire votre texte, amusée par cette coïncidence, et il m’a entraînée vers d’autres horizons, il est très beau, avec la vie de tant de façons. Merci.