Recto
La nuit
à ce stade de la nuit, je sens la moiteur, la lourdeur, l’étouffement, l’orage se rapproche, sans bruit pour l’instant, sans lumière, mais la nature accuse, se tait, un silence, une attente avant l’explosion, le ciel zébré, les nuages tourmentés qui s’entrechoquent, s’amassent, s’entassent comme une tour, tour d’Abraham disent les anciens, une montagne blanche qui monte grandit grossit…et je m’inquiète pour mon jardin, mon jardin dont je suis si fier, que je soigne, que j’arrose, que je taille, que je sarcle, dont je connais tous les coins et tous les sillons… je crains les trombes d’eau qui vont noyer mes tomates, les secousses du vent qui plieront mes rosiers, éclairs blancs, éclats qui aveuglent, bruits du tonnerre qui assourdissent, des forces qui se déchaînent au-delà des attentes de mon jardin qui aurait besoin d’une pluie douce, pas d’un déluge ingérable, pas de ces menaces de grêle, mon jardin, ma fierté, mon gagne-pain, comment lutter, comment préserver, que vais-trouver demain matin ?
à ce stade de la nuit, je me tourne et me retourne dans mon lit, je pense à demain, je pense aux jours d’été, les travaux sont finis, la traversée fonctionne, mais les touristes arrivent, la chaleur arrive, s’il y a un problème, n’importe quel problème, c’est à moi de le résoudre, « monsieur le maire, vous avez dit…vous avez promis… » mais non, je n’ai rien promis, le maire n’est pas un surhomme et il n’a plus de force, il pense tous les jours à rendre son tablier, il pense à l’année prochaine… je serai enfin libéré de toutes ses charges, je pourrai dormir la nuit…
à ce stade de la nuit, je ne suis pas couchée, je me sens agitée, je vais, je viens, je range, je frotte, il n’y a pas de raison, non, je ne vois pas, tu es perturbée, prends un livre, ça va passer, non ça ne passe pas, j’oublie de respirer, qu’est-ce que je peux faire ? Un gâteau à 3h du matin comme Annette ? De la peinture, tout un pan de mur en blanc comme Louise ? Le courrier qui attend depuis une semaine ? Besoin de bouger, besoin de remuer, de marcher…je regarde le ciel noir, la lune est pâle, un croissant tout fin, pas assez lumineux pour reconnaître le chemin…je fouille dans le tiroir, je trouve une petite torche, et une loupiote frontale, et cette envie de sortir qui me reprend, qui m’obsède…j’y vais, je vois juste assez pour mes pas, mes pieds connaissent la route, juste un tour…et après je pourrai enfin dormir…
à ce stade de la nuit, je dresse l’oreille, j’écoute les bruits, le ronflement qui vient de la chambre, la respiration bruyante et les petites plaintes du bébé qui a un peu de fièvre, je pousse la porte, doucement, je m’arrête près du berceau, un peu d’eau pour le calmer, il transpire, mais il dort, je me raisonne, ça peut attendre demain, mais moi, je ne pourrai pas, je reste à côté, trop d’angoisse, trop de si et de peut-être…
à ce stade de la nuit, je suis en veilleuse. Pas fatiguée, mais engourdie, le temps est doux, la pluie s’est arrêtée, je flotte entre deux eaux, je vole avec les nuages. Je ne veux pas m’endormir, je sors sur mon chemin, celui qui passe devant la maison, je marche les yeux fermés et je respire. Je respire les odeurs de cette nuit de juin, ces effluves sucrées de la haie de troènes, le parfum de miel du chèvrefeuille qui s’entortille autour des clôtures, l’odeur des buissons de menthe qui frôlent le chemin, j’emplis mes poumons, j’aspire cet air après la pluie, ces forces de la nature, je me retrouve…
Verso
La pluie
Des orages et des pluies, ces averses qui tombent en musique, tambourinent sur les vitres, arrosent l’asphalte, inondent les trottoirs… une image, une scène culte, bouger, danser, chanter…l’émotion est là… la joie et le bonheur exprimés sous la pluie… mon cœur danse, danse avec lui, Gene Kelly, qui bondit dans la rue inondée par la pluie, saute à pieds joints dans les flaques comme un gamin exubérant, esquisse une pirouette, embrasse un lampadaire, éclabousse un passant, son parapluie virevolte, ses chaussures sont trempées, son chapeau est noyé, il est une cascade à lui tout seul…et il sourit, il rit, il chante et danse son bonheur amoureux, rayonnant, confiant, force et grâce réunies, la pluie devient une alliée, une compagne de jeu…
Merci pour cet univers naturel qui nous ramène au goût à regarder un jardin , un orage , à rester en veille et à habiter ce moment par les mots .
Merci, Carole, pour ce passage, la pluie et l’orage peuvent être plus poétique que la sécheresse qui nous accable actuellement…