« La première chose à observer« . Est-ce vraiment une observation? N’est-ce pas plutôt une sensation? Ces fougères impassibles à deux mètres devant moi. Sur une butte, à la hauteur de ma tête. Je pisse dans le fossé en pleine nuit. La fraicheur de la nuit. Oui, je m’en rappelle bien. Mais ce moment n’est pas obligatoirement le plus représentatif. Le vide et la liberté. Ou du moins la peur de dérailler. Livré à un grand monde vide. La peur de ce grand vide qu’était le monde. Soudain sans direction. Oui, mais il faudrait en dire plus. À l’avant de la petite maison en construction de D*****. Qu’est ce qu’on y faisait? J’y venais quelques fois dans le mois pour une soirée. J’y dormais le week-end. Bref, ce sont les fioritures autour de ce vide. Trop conscient de soi. Du vide qu’était devenu ce soi. Mais cela aurait pu bien être pendant mes marches dans une ville nouvelle ou une angoisse irrépressible me prenait. Soudain je me retrouvais comme Eugen Althager : flottant dans le vide; livrant « contre la liberté une lutte sans merci. Chaque heure gagnée sur elle était une victoire. Et les heures s’enlisaient une à une, sans rime ni raison, mais non sans dignité. » Des jours « clairs et durs« . Sans cesse revenir à cette dureté. A cette béance. Ou plutôt ces béances, ces vides ou l’on s’attendrait à une fluidité, du plein, du solide, du sol. N’est-ce pas une preuve d’immaturité? D’abord l’humiliation, le rejet et l’injustice. Comme trois petites chutes. Rien d’inhabituel après tout. Il s’agit que de marches pour descendre… Descendre dans ce que j’imagine être une vielle cave. Puis viennent la trahison et l’abandon… Et lorsque l’on est au sol… Mais est-on vraiment au sol? Ça devient trop pathétique. Après tout, ce sont des choses de la vie. Des choses de la vie qui sont suivis de l’impuissance et l’insécurité. Comme un kaléidoscope, les multiples dimensions dans lesquels ses éléments se retrouvent, se chassent l’une et l’autre dans la mémoire tout en formant un tout. Un petit tout qui est une vie se déclinant selon les règles d’un cas, se conjuguant. A qui, à quoi? A l’horreur et à la souffrance, bien souvent. Renoncer et accepter sans bloquer le long et lent tirage qui crève l’être. Voilà qui est un saut dans le fatalisme. Est-ce que rien d’autre ne peux nous soulager? Tout n’est qu’illusion? Voilà ce qui permet de vivre. Ne pas faire obstacle à la vulgarité, à la « violence de la bêtise » (G. Ringlet). Résister au « cynisme de l’intelligence » et à ses aveuglements complices… Mais je l’ai si bien intégré jusqu’à ce que ce que je suis du côté perdant. N’ai-je pas été le monstre que je critique? N’ai-je pas pavaner plein d’autosatisfecit auprès de ceux que je sentais encore trop niais. « Aveuglés par la croyance en leur victoire finale, ils se délectaient de la certitude incompréhensible de leur propre supériorité. » Encore Amery. Cette phrase suit, offre une résonnance sans pour autant pousser la progression. Je retrouve dans l’écriture le fil de tout ma réflexion sur la notion de changement. Un peu vide. Mais aussi plein d’espace. Sur les espoirs et les désillusions qu’elle comporte. Cette quête du changement suppose une forte réticence à ce qui est. Ou au contraire une grande adéquation à l’époque hypermoderne. Mais regarde-t-on assez ce qui est? L’a-t-on condamné avant observation? Une fatigue me prend que l’arabica à portée de main ne saurait secouer. J’avance en terrain familier, sans intérêt et pourtant l’écriture pourrait être cette opportunité d’aborder, de découvrir et de saborder. L’inspiration me quitte au moment où l’on aurait pu arriver à une nouvelle destination. Une avancée dans la brume. Après la cave et la chute, voici le marrécage brumeux et son atmosphère de danger. Avancer avec son histoire. Une piètre fin.
Questionner la mémoire ? Il y a comme un abattement…