Elles arrivent en plis noirs serrés autour du cou, des fichus sombres sur la tête, chèches bleus tournés en boule, elles sont gribouillées de fleurs sur l’arête du nez, elles arrivent. Il faut tendre l’oreille et toucher le kilim qui office de porte, on les entend, l’affairement des bracelets tournant de leur musique, les ceintures à diadèmes ont ces cliquetis de carême, à peine on les croise qu’elles disparaissent et pourtant elles arrivent. De leurs talons bruts, rectangulaires, elles s’affairent de partout et castagnent le sol. Venues depuis tous les villages des montagnes, depuis tous les âges, elles rient déjà, les colporteuses de nouvelles. En quelques heures elles sont parées de rouge et d’astragales, il faut ouvrir le visage, chanter, chanter ensemble et claquer des mains, claquer des pieds dans la poussière, chanter par-dessus le fracas des rivières. Doucement à peine sans y prêter attention, elles ont fait la ronde : on a posé au milieu les bols de lait et les assiettes creuses remplies de dattes, oranges et fortes comme des blattes à fourneau. La fumée monte des crevasses où l’on a enterré le pain, la pâte est répandue sur la caillasse, et fera son pain sous la terre. C’est une odeur pharamineuse. Les corps debout sont droits et les sourires pleuvent des bacs à chansons. On bat la chamade en se poussant de côté, juste une ronde scandée à vingt et trente femmes. Quand on les regarde, il n’y a plus de temps qui compte, ni ménagerie de peines, ni suffocation de soi, les motifs superposés des tissus font des spirales et de grands tracés bruns, verts, turquoise. Les robes descendent jusqu’aux pieds, ce sont jonquilles aux lentes parades qui s’impriment dans ta muraille. C’est à nous, c’est à nous, de célébrer la fête avec tout notre désordre, on navigue entre elles à grands renforts de rigolades, on s’interpelle dans la mêlée, allez viens donc, haji lena, chante mon frère, chante ici-bas, nous sommes rien d’autres, nous sommes tu ris, nous toi regarde, de lourds coléoptères en déshérence, ici ton froid n’est plus à toi, ton froid n’a plus son froid, il a cette saveur d’olive et de thé âcre qui mousse dans les verres, brandis le cœur, ami sois fier, le chant est le meilleur convertisseur, ne rentre plus dedans, il faut slamer la nuit, le volant des couleurs et l’odeur des choux, des navets, des méchouis, se marient aux bijoux d’acier tout autour du visage, ces petites galettes d’argent travaillées au couteau, la danse des montagnes agite les médailles sur le front alcalin. Reprends du sel, des joies, toutes les gorgées de fièvre, quand tu lèves la tête tu finis par les voir, des souris sillonnent le ciel, elles se gorgent d’insectes à chaque brassée d’air frais, et c’est le temps de vivre, on sort les bulbes à chicha et sur le flanc de la pleine lune, s’écrit un graph berbère, qui dit qu’il faut fêter chaque jour qui fait levain.
Les rires, les chants, les danses, les couleurs, les rires des femmes, les rondes, la nourriture, la montagne, les bulbes à chicha, la pleine lune… on y est, dans ce tourbillon de scènes et de mots. Etre ainsi un peu du voyage !
Merci fort chère Isabelle, quand on ne part pas en voyage, c’est en écrivant qu’on trouve l’allié du transfuge !! je vais à présent partir en aventure découvrir votre beau jardin !
Françoise, ce matin je me reveille en chantonnant Dieu mais que Marianne était jolie, et toi pendant ce temps, tu plies le match comme on dit. Dieu mais que ce mariage était joli, et la petite voix à peine, un frisson de voix et ces femmes, dieu mais que leur danse noire était jolie. Et nous maintenant avec ton impressionniste revisite, impression aux cinq sens, on pourrait ne rien faire, et passer le tour. Si c’était un tirage de carte, ce serait arcane 11, La force. Merci.
Chère Catherine, je suis impressionnée par cette incroyable énergie dès l’aube, ton talent inouï et celui que tu partages en lisant en écrivant, si tôt, pour mêler au jour le grand dit du vivre. Si honorée d’avoir fait partie de ta cueillette du matin !!
Vais immédiatement plonger les cheveux dans tes textes indociles
« Ici ton froid n’est plus à toi, ton froid n’a plus son froid, il a cette saveur d’olive et de thé âcre qui mousse dans les verres, brandis le cœur, ami sois fier, le chant est le meilleur convertisseur…
Je sens l’odeur des bottes de menthe une charrette descend vers l’épicentre les sont chants là. Là où ton froid c’est plus ton froid.
Merci pour votre si beau texte.
Bonjour Martine, un grand merci pour ce beau partage de compagnie, nous sommes des buveuses de thé enivrées de musiques et cela fait tant de bien de se laisser prendre dans le tempo des terres abruptes du soleil ! Vraiment touchée, et vais de ce pas venir danser dans vos textes ! très belle journée à vous !
Je reprends mon commentaire dans l’ordre
Je sens l’odeur de vie et de fêtes des bottes de menthe une charrette descend vers l’épicentre des chants
Ici ton froid c’est plus ton froid.
Merci pour votre texte. Je repars en voyage dans le Sud.
Bonne journée
Un grand merci chère Martine, c’est un bonheur de vous lire !
l’élan, la joie, la fusion dans le chant et la danse, ça ne s’invente pas… c’est comme un grand nettoyage de l’âme, cette histoire-là…
« Reprends du sel, des joies, toutes les gorgées de fièvre, quand tu lèves la tête tu finis par les voir, »
oui « c’est le temps de vivre », de partager ici et maintenant…
merci pour ta belle fête, Françoise, on entre dans la ronde comme si on y était…
Oh Françoise ! cela me fait très plaisir car je t’imagine si bien dans ton jardin cacophonique et génial, boursouflé d’odeurs pleines comme une rhapsodie jubile, et ton talent à raconter fait sève dans chacune de tes plantes… tu es la magicienne aux potions si subtiles… boire à même le goulot de la jarre, et d’un coup le grand vent !!