#rectoverso #03 | quelque chose d’encombrant

#3 – Après Camille Laurens

Recto.

Il y a quelque chose d’encombrant dans sa vie, quelque chose qui pourrait bien expliquer insomnies, malaises, mal-être. Celle colère sourde qu’elle refuse de laisser s’exprimer. Se conformer, décider que oui, vraiment, c’est mieux comme ça, plus simple, plus facile à vivre, moins contraignant.

Il y a encore et toujours cette rancœur, cette mère impossible à oublier, à laquelle elle ne peut pardonner, dont on ne parle plus, enterrée, réduite en cendres que la dispersion n’a pas dispersées, qui sourit sur les photos qu’on retrouve un jour au détour d’une recherche du ‘tu te souviens ? ‘, ‘Si, je t’assure, c’était….’

Il n’y a pas le père, doux et aveugle… ou peut-être pas. Doux et lâche ?

Il y a cette sensation que c’est à cause de ça, à cause d’elle, qu’elle a pris l’habitude de se soumettre, de ne pas se rebeller, de laisser glisser sur elle réflexions, critiques, inattentions, oublis. Ne pas élever la voix, elle craignait les coups, peu fréquents mais cinglants.

Il y a ce silence dans lequel elle s’est un jour murée, plus de mots parlés, des mots écrits uniquement, le papier qui portait toute sa colère face à l’incompréhension, qui tentait d’expliquer. Des lettres, des notes posées sur la table de la cuisine, et une porte fermée. beaucoup de lettres, beaucoup de notes.

Il y a plus tard les autres qui la trouvent drôlement sympa cette mère qui aime tant les autres ‘jeunes’, qui les compare, les jauge, les valorisent si elle estime qu’ils le méritent, les érigent en exemple qu’elle, la fille unique, serait censée suivre.

Il n’y aura jamais la conversation importante qui éclairerait les dissensions, il n’y aura que les ‘bons moments’ intercalés entre les périodes sombres.

Verso

Oui, le ressentiment qu’elle consent à reconnaître l’a construite. Se fabriquer contre.

Oui, cette mère qui n’avait pas compris grand chose à la vie qu’elle menait l’a poussée si fort qu’elle a fui, loin, ailleurs, autre mœurs, autre langue, conquise comme une seconde nature, une langue maternante, accueillante. Une langue qui joue, qui s’ ouvre, jamais figée, amusante, avec laquelle elle s’est mise à jouer, puis à travailler.

Oui, elle est partie, oui.

Oui, elle n’a pas su revenir. Elle est restée, oui. Encore un peu, un peu plus que prévu, un peu plus qu’autorisé.

Oui, elle a ensuite oublié de demander la permission, oublié les sanctions. Oui, elle s’est mise à vivre, vivre seule, puis vivre avec, avec d’autres, avec un autre puis un autre puis…

Oui, elle a dit oui à une autre existence, à un métier inédit, elle a dit oui et souvent non aussi.

Elle aurait pourtant aimé dire ce Non plus souvent, docilité hérité d’éducation contraignante. Mais oui, elle peut encore dire non, souvent, se dire non à elle-même, s’exhorter, se quereller , se dire : ‘tu es folle, ma pauvre fille’, croyant soudain entendre une grand mère oubliée. Oui, oublier.