Y’a un homme, une femme, un autre humain — moi — et puis encore deux autres mais je vais pas les embêter plus que ça. Il faudra penser chaque fois que eux aussi sont par-là, pendant la décennie.
Tu y retournes encore ? Que crois-tu en dire que tu ne saches déjà. Que tu n’aies déjà dit, pensé et même, oui, déjà écrit et plusieurs fois.
L’homme et les voitures, ça commence par une vache, il y a une vache, et oui, elle s’assoit — dans l’histoire — sur le capot d’une deux-chevaux, et peut être je suis dedans, assise derrière, sur les genoux de la femme, elle crie La vache ! Il dit ça, en riant, elle crie la vache et il y a, oui, une vache assise sur le capot. La deux-chevaux, toutes les ailes changées mais ça bon, les ailes, et puis la vache. Dans le troupeau, une vache, et au milieu du chemin et du troupeau, la voiture et l’homme qui veut avancer, qui veut pas s’arrêter, veut pas attendre, avance. Alors la vache « s’assoit » sur le capot ! C’est bien ce que je disais, dit l’homme, le capot c’est pas moi, c’est la vache.
L’homme, les voitures, et le déferlement, une décennie c’est long, même pour toi, alors tout passer au crible…
La rouge — au tombé de la nuit en été, contre un arbre dans la ligne droite du Lido de Jesolo non loin du débarcadère, au retour de Venise. Seul. La blanche — dans un carrefour de Barcelone au creux de la nuit, vers une heure, dans un carrefour le feu franchi au rouge. Seul. La grise, en hiver, du brouillard, et le coin d’un camion — mal-éclairé dit le rapport de police — dans un tournant de la route de Brignoles au retour vers Marseille. Seul. Après Venise, dans le taxi pour la gare, l’homme parle au chauffeur. Une Alpha Roméo, une Julietta, il dit que c’est bien ! Hen, c’est bien. Le femme et les autres humains font les sourds. A l’arrivée de la blanche, il crie depuis le couloir Elle est en bas, venez faire un tour. A mon tour, assise devant, il dit Accroche toi au siège. On fait peur à maman. Le volant, ses mains poilues dessus, pied au plancher, dérapage, pneus qui hurlent. La femme aussi. La grise — pas le temps de s’y attacher, grise ou autre chose, pas vraiment d’importance, reste le tournant de la route de Brignoles qui les enchaîne, le coin du camion et la lumière arrière manquante. Pas de sa faute.
Trois voitures accidentées, épaves, mais pas de mort au moins ? Sinon faudra écrire Tragédie. Tragi-comédie serait mieux, enfin, si tu confirmes — alors pas de mort ? Dis-le une bonne fois.
L’homme aurait ricané de cet article en me tendant le journal. Y’a vraiment des cons qui n’ont rien à faire.Tuer ou torturer des animaux dans son enfance ou sa jeunesse est désormais un des signes reconnus avant coureur dans l’advenue de violences intra-familiales. Une corrélation désormais lue comme prédictive. Un garçon ou un jeune homme tuant ou torturant des animaux annonce quasi-certainement un compagnon, un mari, un père violent, possiblement incestueux, s’il chasse, vernis social de la tuerie au bénéfice de la force, l’affût et la victoire, il peut aussi retourner la violence contre lui. Y’a vraiment des cons qu’on rien à faire.
Tu instruis à charge ou à décharge ? Il va falloir prendre une décision. Tu maintiens Décennie, la vache, y’a de quoi dire, après-guerre et glorieuse, et toi tu arrives quand là-dedans, et surtout pourquoi tu y reviens encore une fois ? Réfléchis à la question. Viens pas pleurer après.
Le nombre de mots peut-il être corrélé au nombre de voitures accidentées, je veux dire broyées, rendues à la casse, épaves, sans compter les ailes et les pare-chocs, tôles défroissées, peintures refaites, et puis ? J’oublie le permis retiré. Un an. Le tribunal de police à Lyon qui colle au garage quelle voiture ? Pour quelle ébriété ? Seulement ébriété ? Je veux dire, sans tôle, sans nuit ? Ebriété et excès de vitesse ? Tribunal de police prononce un an de retrait. Pas pour rien. Et obligation de se soigner ? Ou alors je sais pas. Se soigner ? De quoi ? De la tristesse de vivre ? De l’alcool qui ne sait que rentrer et sortir ? Des constructeurs de voitures qui ajoutent des air-bag, c’est pas pour les chiens ? Un an, pour quelques verres et un malheureux coup d’accélérateur et de frein dans un carrefour ? Un carrefour encore ? Un radar cette fois ? Impossible ! 14 juillet 2002 : Déclaration du Président de la République Jacques Chirac : « Je voudrais marquer ce quinquennat par trois grands chantiers mais qui ne sont pas de pierre. C’est d’abord la lutte contre l’insécurité routière. Je suis absolument horrifié par le fait que les routes françaises sont les plus dangereuses d’Europe. » Quoi ? Chirac ? 2002 ? Alors non, pas de radar. Un mur, alors ? Oui, un mur. Il y a sans doute des archives pour retrouver tout ça. Faudra chercher. Comme pour Barcelone en 1966, la route de Brignolle en 1969, le lido de Jesolo en 1974. Et si je cherche à Barcelone, je chercherai aussi San Juan d’Espi, l’ancienne rue, mais elle a disparu, j’en profiterai pour chercher à Badalona le registre des naissances de 1905 — et voir si Esteban y est inscrit.
Tu nous donnes les dates et les noms ? Tu veux faire tes preuves, on dirait ! Ah, enfin ! Écrire à l’inverse de tes habitudes, faire amie-amie avec la fiction. Tu y crois, cette fois, que la fiction devient le nouveau réel. Il en aura fallu des tentatives. A propos pour la vache, tu pourras dire la couleur du pelage ? T’as pas inventé la vache quand même ? La vache !
Une vache à l’aube de la décennie, en voiture et c’est parti. on se laisse conduire et on regretterait presque d’être déjà arrivé.e.s.
Merci Cécile. Sentiment d’un début oui,
Et ben, ça cartonne. Et la vache, elle est cassée aussi ? Une décennie d’enfer…
Bonjour,
Vous connaissez, Louise, Le quatuor à cornes ? Courts métrages pour enfant. Quatre vaches aux multiples mésaventures cocasses, votre question m’y fait penser et aussi que je les aime beaucoup. Cassée recollée peut-être la fonction d’écrire
J’adore, la suite des voitures dites par leur couleur, et la vache, et le ton, celui du texte et celui des questions, j’adore l’humour et le grinçant, et la façon dont tu fais sentir la violence qui sous-tend le tout, mais qui n’est pas tout.