RECTO
Il y a des portes qui baillent, confondent couloirs et chambres. Ouvertes à tout courant.
Il y a une table. La solidité d’une table, la distance qu’elle met. Pouvoir s’y appuyer. Écrire ou se cacher dessous, comme avant.
Et cette obsession du frigo : l’ouvrir souvent, pour rien. Une question posée au froid. Entre dégoût et désir.
Il y a l’ombre — faudrait-il un mot pour les ombres mouvantes ? Dire le silence des ombres.
Il y a la peur.
Il y a des robinets qui gouttent et comptent un temps arrêté.
Il y a eu cette première fois.
Il y a les paupières, la responsabilité des paupières.
Et le nez toujours bouché — pour ne pas entendre.
Les nausées sans promesse : on a dépassé l’âge des grossesses.
Il y a la fatigue. On en parle, on n’a pas les mots.
La peau qui gratte sans raison. Les ongles, de parfaits réflexes. Ces animaux impatients.
Il y a la salive, ludique en bouche — plaisir ou survie ?
Et le ventre. On voudrait se coucher dans ses plis, sous son poids. Rentrer en soi.
Il y a les amis dont on perd l’odeur et la voix. On les aime, malgré.
Il n’y a pas de retour possible.
Il y a les enregistrements qu’on réécoute pour secouer nos morts : restez.
Il y a le silence.
Des phrases essaient de parler. Elles se disputent la parole — on n’entend que leurs disputes.
Il y a le pays quitté, la terre comme déplacée.
Il ne reste que cela.
Il y a le sable, friable comme la lumière. Dire sable… et déjà les pieds, les orteils, les doigts. Certains grains trouvent la langue. Comme une demeure.
Il y a la lumière, ce miracle.
Et puis les arbres — singuliers comme nous. Survivants verticaux.
Il y a la pierre. L’immobilité sans attente.
Le vent, parfois main sur la joue.
Il y a les insectes, petites vies opiniâtres.
Et le matin, l’ultime consolation des débuts.
VERSO
Oui, ce oui qui vient sans question posée. Oui, comme bat le sang. Le oui monté des os — sans bouger des lèvres. Il a fallu que son monde se casse. Se courber et toucher terre. Se courber, verticale. S’accorder au sommeil souterrain. Fouler les pierres des ancêtres. Et dire oui. Ce oui ne célèbre pas, ne consent pas. Elle ne le répètera à personne, ne le confiera pas. Il déroule une langue, en une syllabe cousue. Oui je suis d’ici. Oui à la douleur de ma mère. À la mort, son intransigeance. Se retrouver au pays sur un coup de tête, sans se douter que ce oui avait précédé le voyage. Lui échappait déjà, ce oui de l’instinct. Il a fallu marcher ici, écouter l’arabe de ses parents comme une musique allégée de leurs récits. Renoncer aux traductions, aux commentaires. Il a fallu quitter l’idée des origines, les vivre au sol. Oui au déséquilibre, qu’importe l’avant. Et dans le tumulte d’ici, reconnaître enfin un calme. Peut-être le sien.