#rectoverso #06 | Hôtesse d’accueil.

RECTO – Quand on est hôtesse d’accueil.

La première fois, je me trouvais pas mal affublée de l’uniforme et des hauts talons qu’il me fallait porter. Le miroir me renvoyait une allure plus sophistiquée que celle que j’avais d’habitude, mais je me suis vite rendu compte, au bout de quelques heures, qu’elle était totalement inappropriée pour les huit heures à tenir debout.

Je suis assise dans ce grand bureau du magasine Elle, et suis entourée de femmes dont, aucune d’entre elle, n’a, depuis mon arrivée, daigné poser son regard sur moi. Je peux facilement conclure que je suis invisible et pourtant, je suis au beau milieu de la pièce à glisser des cartons d’invitations pour je ne sais qui, dans des enveloppes à un évènement où je ne suis pas, bien évidement, conviée. Entre deux gestes, j’écoute autour de moi et m’étonne du temps que chacune d’entre elle passe au téléphone avec amis ou parents ou à critiquer telle autre qui vient de sortir pour se rendre aux toilettes ou aller dehors pour fumer des cigarettes.

C’était un grand magasin parisien aux devantures vitrées et à la décoration léchée. Il y avait à l’entrée, une porte très lourde qu’il me fallait ouvrir et tenir à chaque client. Il arrivait que certains me disent bonjour, d’autres s’arrêtaient pour discuter quelques secondes avant que leurs femmes, compagnes, amantes ne les rappellent à l’ordre d’un air courroucé. Mais, la plupart du temps, j’étais ignorée. Malgré tout, je ne me départais jamais de mon sourire sachant exactement l’emplacement de la caméra rivée sur la porte.

A certains moments, je m’imaginais claquer la porte sur les dos des clients ou leur refuser l’entrée.

Souvent les femmes me toisaient du regard.

Je connaissais la valeur de chaque article du magasin et je rêvais que quelqu’un me fasse un cadeau. Il aurait pu m’être donné directement en repartant comme un paquet que je devais garder le temps d’une course ou bien déposé discrètement près de la porte à mes pieds mais jamais, non jamais, cela m’est arrivé.

J’ai encore en moi, les discours dont on nous abreuvait sur l’image qu’il nous fallait renvoyer vis à vis de la société dans laquelle on travaillait. Un ami m’avait même dit qu’en me voyant, j’étais la première impression que les gens se faisaient de l’endroit et j’avoue en avoir été fière alors que je détestais ma position d’hôtesse en réalité. Mais je prenais malgré tout bien soin d’être tous les jours présentable et surtout bien aimable.

J’ôtais parfois mes chaussures aux toilettes.

Je me remettais du rouge à lèvres dans les mêmes toilettes.

Parfois je songeais que l’on puisse me remarquer et que ma vie prendrait un sens.

Parfois je devais répondre au téléphone et je prenais ma voix la plus suave. Je me disais : On ne sait jamais.

J’avais mal aux pieds, j’avais mal au dos, j’avais mal partout mais je continuais de sourire.

Une fois j’ai longuement travaillé dans une entreprise qui m’aimait bien. C’était un endroit très chic. Le directeur était bel homme et son adjointe m’avait prise sous son aile. Mon coeur battait lorsqu’elle m ‘envoyait prendre l’ascenseur pour lui apporter un paquet ou un courrier. Il y avait une grande terrasse à côté de son bureau et il m’est arrivé de me retrouver seule dans celui-ci alors, j’en caressais la table et les objets.

Plus tard, je fus renvoyé car j’avais piqué une colère, cela aussi m’arrivait. Et beaucoup plus tard, alors que je faisais du théâtre, j’avais lu un livre intitulé « Après la pluie » de Sergi Belbel qui parlaient des femmes qui travaillaient dans ce même genre d’endroit et qui se rendaient à la terrasse du haut pour aller fumer une cigarette. Cela m’avait replongé là-bas même si je n’ai jamais fumé.

Ce genre de métier est pratique pour rentrer partout où vous n’iriez jamais. C’est un peu comme figurante dans le cinéma où vous devez tout observer et rester prête, aux aguets, sans jamais vous faire remarquer.

Une fois, j’ai volé un accessoire mais je l’ai reposé…à regrets.

VERSO

Je me demandais si j’allais faire ce travail jusqu’à ma mort et cela m’angoissait terriblement.

Je me demandais si on était catégorisé dans le monde des morts comme dans celui des vivants.

Il ne m’est jamais arrivé de devoir faire l’hôtesse pour un enterrement.

Il est de ces métiers où on a le sentiment d’être déjà morte. On sait que l’on pourrait ne pas revenir un matin et que cela ne changerait rien. Personne ne le verrait car personne n’aurait jamais su qui vous étiez. Peut-être simplement que l’on appellerait l’agence pour demander la raison de votre retard et peut-être que l’on répondrait que malheureusement il était arrivé un accident ce à quoi on se contenterait de répondre qu’il faudrait dans l’heure, envoyer une remplaçante.

Bien souvent, je pensais que j’aurai pu mourir en tenant la porte du grand magasin et que cela aurait créé un émoi autour de ma personne.

Parfois je me voyais mourir de douleur sur mes hauts talons et sans aucune autorisation pour m’assoir sauf à la pause déjeuner.

Certaines fois, j’accueillais les gens, la mort dans l’âme.

Bien souvent, je trouvais que la plupart des gens allaient l’air déjà mortes en venant travailler.

Parfois, je songeais à un film de science fiction où je serai l’héroïne et qu’en me voyant à l’entrée, chaque personne tomberait raide morte et comme j’étais la première sur les lieux, les morts s’amoncelleraient mais je me contenterai de sourire.

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

5 commentaires à propos de “#rectoverso #06 | Hôtesse d’accueil.”

  1. Merci pour ce texte, très vivant. On ressent la souffrance du corps de cette hôtesse si bien racontée mais tu as laissé le meilleur pour la fin, j ‘aime particulièrement ton verso! trop bien …

  2. Vrai, terriblement « Il est de ces métiers où on a le sentiment d’être déjà morte. On sait que l’on pourrait ne pas revenir un matin et que cela ne changerait rien ». Merci Clarence pour tout ce texte.