#rectoverso #06 | Jamais bien longtemps


Quand on est infirmière on travaille en uniforme blanc. Quand ils se plantent à la centrale de lavage on doit mettre le même plusieurs jours ou une autre taille. J’ai la chance de ne pas être très épaisse et de pouvoir porter quasi toutes les tailles avec plus ou moins d’élégance. Chercher mon uniforme est une des étapes de la routine du matin avant d’arriver dans le vestiaire de mon service au sous-sol. J’aime bien ce moment où je me promènes dans les boyaux de l’hôpital en sous-sol qui forment un labyrinthe décoré d’un vaste réseau de tuyaux jaune rouge noire bleu. J’ai beaucoup d’admiration pour les hommes d’entretiens qui doivent repérer et réparer les problèmes de fuites diverses de ce gigantesque intestin. Je m’égare, oui avant ça m’arrivait souvent de m’égarer dans les sous terrains, maintenant un peu moins.


Quand je suis du matin, je commence à 7h et je me lève à 6h. Je ne suis pas du matin. Mon perroquet et mes plantes vertes en font les frais. Je ne peux m’empêcher de lâcher un merde grincheux quand la sonnerie me perfore les oreilles. Pelote le perroquet de ma vie me gratifie alors d’une salve de bonjour aigrelets les bons jours et de mierde chantants les jours difficiles. A ma grande surprise au fil des ans la majeure partie ses mauvais jours correspond aux miens. Ces jours-là je me surprends chantonner mierde mierde en descendant la cage d’escalier étroite qui m’amène du 4ème étage à la bouche de métro.
Je n’aime pas beaucoup le métro. C’est sous terre et depuis les attentats à Malbeek, dès que je vois un sac trainer dans la station je me mets à suer. Pas que j’ai particulièrement peur de mourir. C’est plutôt la perspective de me retrouver sans un membre ou l’autre qui m’active. Pour me distraire je chantonne des airs d’opéra, les valkyries sont généralement efficaces. Ceux qui sont avec moi dans le métro à 6h30 ne sont pas très joyeux. Ils ont la mine grise des gens qui travaillent pour la survie plutôt que par envie. La tête de ceux qui seront privés de chômage au bout de 2 ans par notre cher gouvernement si ils osent se rebeller et démissionner. J’ai des jours comme ceux-là aussi mais la plupart du temps j’aime aller travailler une fois lancée. Quand je monte dans la première rame du métro je croise un sosie troublant de ma mère. Chaque fois mon corps saisit recule. La chambre de ma mère au home des orangers donne sur l’école primaire. Elle ne manque pas de s’en plaindre a chaque dimanche matin que je passe avec elle. Elle me tire les cartes. Le thème est obsessionnellement le même me trouver l’âme sœur. Au fil des saisons et fluctuations hormonales je lui répond avec plus ou moins d’agacement que les statistiques sont sans appel. Les femmes les plus heureuses sont célibataires. Elle enchaine immanquablement avec son amie Mathilde qui a bien de la chance d’avoir déjà deux petits enfants. Ce dialogue rituel a lieux à chacune de mes visites sans grande variation. Je sais bien qu’elle s’inquiète pour moi. J’ai la malchance d’être hétérosexuelle et pelote est le seul représentant masculin avec lequel je parviens à cohabiter au quotidien. Ce n’est pas faute d’avoir essayé mais j’ai une particularité qui rend la chose difficile. Lorsque je m’ennuie je suis saisie d’une narcose violente et m’endors sur le champ. Les fois ou par miracle j’ai réussi à passer l’étape des discussions sur l’application aucun des postulants n’a passé l’étape du café. Lorsque je m’endors brutalement au milieu d’une phrase le nez dans mon café je me réveille seule sans plus jamais avoir de nouvelles. J’ai déjà tenté plusieurs approches. J’ai prévenu certains de cette particularité. Un certain Robert ne s’était pas laissé découragé pensant certainement qu’il était passionnant. Malheureusement son égo non plus n’a pas résister à mes ronflements. Au regards de mes tentatives infructueuses et fortes des statistiques j’ai décidé un 24 septembre tourner mon énergie vers d’autres passe-temps.


J’étais encore stagiaire lorsque j’ai rencontré mon premier mort. Il était étendu sur le lit la couverture et le drap bien plié sous ses bras. Son épouse lui tenait la main et moi j’étais assise a côté d’elle. Je n’avais encore jamais vu quelqu’un mourir. Il a eu une sorte de hoquet puis un long silence un râle et puis plus rien. J’ai dit à l’épouse une des âneries les plus monumentales de ma carrière : Monsieur est en train de vous faire une blague. J’en rougis encore de honte aujourd’hui. Elle m’a regardé d’un air étrange. Il est venu me tapoter l’épaule en me disant « ce n’est pas grave, vous apprendrez ». J’ai été surprise par sa voix grave. Il était arrivé dans notre service une semaine auparavant trop faible pour parler.


Le juge est le mort qui m’a le plus marqué. Il était dans un autre service. J’avais été appelée avec ma collègue médecin pour évaluer sa demande d’euthanasie. Dans le couloir j’ai croisé un homme grand très mince avec des cheveux blanc roux un visage anguleux et autoritaire. Arrivée dans la chambre, le patient n’y était pas. Il s’est avéré que c’était l’homme que nous venions de croiser. C’est une chose étrange que de devoir évaluer la légitimité du droit de mourir selon les critères de la loi d’une personne qui se déplace avec autant d’aisance que moi. Il fut convenu que l’euthanasie aurait lieu le lendemain après-midi. Il nous raccompagna dans le couloir et sortit fumer une cigarette. Lorsque j’arrivai dans sa chambre le lendemain, ce fut pour initier une jeune collègue à la préparation du corps pour le départ à la morgue. Je me souviens de ma surprise de le trouver étendue dans son lit le visage détendue, d’un jaune cireux. Et cette étrange sensation que ce qui faisait qu’il était lui n’y était plus. Ne restait que son enveloppe dont j’avais la charge de prendre soin. Alors que je lui enlevai sa chemise d’hôpital pour lui mettre la chemise qu’un de ses proches était venu déposer, je l’entendis dire « Incroyable. Il n’a même pas été foutu de ramener la bonne chemise avec la cravate assorti. J’avais pourtant tout préparer, il suffisait de prendre le paquet. Quel abruti. » Il y a des morts qui restent morts même pour moi, d’autres que je vois ou j’entends pour un temps. Jamais bien longtemps. Parfois ils ne réalisent pas qu’ils sont morts. Boulanger de son métier, il est décédé la nuit alors que son épouse était enfin rentré dormir. J’étais dans la cuisine de l’unité, une tisane de cynorhodon à la main pour tenter de faire passer le temps. Les nuits peuvent être longues. Il est passé dans le couloir le visage affolé. J’étais très surprise quand dans son état de faiblesse il soit parvenu à se mettre debout et sortir de sa chambre. Je l’ai rejoint dans la salle de soin et j’ai réalisé qu’il était décédé. Il m’a regardé d’un air étrange « je ne comprends pas ce qui m’arrive, je me sens léger j’arrive à marcher, c’est miraculeux ». Je ne savais pas comment lui dire que le miracle était tout ailleurs. Venez, nous allons retourner ensemble dans votre chambre. Arrivé devant la porte son corps immobile dans le lit, il se tourna vers moi avec un regard terrifié. Je ne comprends pas qu’est ce qui se passe. J’imagine que vous devez vous devez avoir très peur. Votre corps est dans le lit parce que vous venez de mourir.


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