Pelharòt traînant des dépouilles et des songes / #rectoverso #06

Clamer ce qu’on cherche, avancer comme ça en clamant, jusqu’à en claquer quand on est pelharòt. Faut le faire ! Avancer en zig-zag comme ça, le trottoir d’un côté, le trottoir de l’autre côté. Tu ne t’arrêtes que lorsqu’ils ont à t’en donner, des chiffons, des tissus, des peaux de lapin. C’est qu’ils en ont, des peaux de lapin, dans ce quartier, les cheminots… Elle leur en a donné, la compagnie, des jardins à faire pousser des patates et du mouron, à te l’enfourner dans des clapiers où ça fait pulluler les lapins. Paraît que quand les gosses se pointent, il me faut grogner, c’est à ça que je sers aussi, faire peur aux gosses qui ont fait des bêtises, ou pour pas qu’ils en fassent. Grogner et agiter ce qui reste des lapins dépouillés. Sans ça, ils ne me laisseraient plus passer dans leurs impasses pour les récupérer, les chiffons et les peaux de lapin. Alors je clame et puis je grogne et ce que j’aime, c’est quand ça se mélange dans ma gorge. Je regarde tout en haut et on dirait que ça sort des nuages et puis ça racle…

Si ça sent la mort, une peau de lapin ? Moi, je les trouve douces et même chaudes, même si l’animal n’est plus là depuis longtemps. Mais je vois bien comment ils me les tendent, leurs peaux de lapin, avec le bras tout raide, et puis avec un air de dégoût. C’est là que j’ai le plus envie de grogner, même si aucun gosse n’est par là. Et puis je me demande, du coup, comment ils font avec leurs morts. J’en ai entendu brailler, parfois par la fenêtre, avant qu’une ambulance les ramasse et deux jours après, le défilé des gens en noir dans le jardin. Et ça renifle !… Mais je crois qu’il y en a qu’on a fait partir en douce. J’ai senti de drôles de fumées âcres venues des cuisinières certains jours. Je parie que les cendres filent au jardin et que ça le fait bien pousser, le mouron pour les lapins. Alors si les peaux sont si soyeuses, ça vient peut-être de là. Et moi, ça me fait doux et chaud alors…

5 commentaires à propos de “Pelharòt traînant des dépouilles et des songes / #rectoverso #06”

  1. Oh ce mot…entendu, jamais écrit. Touchée. Que son fantôme me visite à mon tour. Merci.

  2. à Civray dans la Vienne vers 65-70 le marchand de peaux de lapins s’appelait Gaignard et il nous avait acheté un camion Citroën 135 pour ses tournées – quand on passait devant son hangar à vélo oui ça sentait

  3. oui, une superbe évocation d’un personnage peu connu sinon sous le nom de chiffonnier et quand bien même la peau de lapin a fait partie de mon enfance et aussi la patte porte-bonheur
    l’écriture ici est sobre et juste parfaite, tout se dessine, pas besoin de plus…
    une réussite… j’aime beaucoup et vraiment !