#rectoverso #05 | la rue de l’école

RECTO

C’était le quartier familier, la rue de l’évidence, la rue de l’école, toujours de l’école même s’il y en avait trois, une pour chaque temps de l’existence, de l’éternité. La maternelle, les deux primaires. La rue reliait les maisons des grands-mères, dans lesquelles vivaient les grands-pères, mais c’était celles des grands-mères, elles qui accueillaient, préparaient le goûter, le déjeuner, elles qui écoutaient. La rue donnait sur le stade, l’église en haut, le stade en bas, les bonbons en haut, le champ de muguet en bas. C’était la rue de l’école. L’école des garçons était faite de quatre cours. Des toilettes en bâti, une cour ombragée, une petite île, autosuffisante. C’est dans cette cour qu’était la cloche qui annonçait le temps de récréation, le temps de retourner en classe. Dans la classe des petits, une imprimerie. Objet sombre, aux formes aiguës, détonant parmi le mobilier de bois .Là s’opéraient des miracles. Là, l’intime, l’informe, devenaient histoire lisible, matérielle, imprimée. On collait ensuite le texte dans le cahier de classe. Ils sont aujourd’hui enfermés dans une malle, témoins de ce qui fut, garants d’une réalité, gages d’une continuité entre ce qui fut et ce qui est. Un portique délimitait le passage à l’autre cour, celle de la cantine,- la cantine aux murs blancs avec quelque chose de l’univers d’une clinique -, et dans la cour, des WC avec portes western. Pas de frontière ni de portail ni de portique pour rejoindre la troisième cour, une pente seulement. La troisième cour sur laquelle donnait le portail d’entrée de l’école. C’est par là qu’arrivaient les écoliers, là qu’ils embrassaient leurs parents avant de les quitter, là que se faisait la répartition des classe le jour de la rentrée, et que se jouaient des drames, des déceptions,  se faisaient entendre des rires de soulagement. Un muret longeait un mur aveugle. On montait dessus en s’aidant  des maigres anfractuosités du mur, on avançait le plus loin possible. Un escalier. La dernière cour.  Deux préfabriqués sur la gauche : un couloir, des patères, des vêtements oubliés, des portes qui ressemblaient à celles des soufflets de train, boyaux de plastique bruyant que l’on traverse en tanguant. Dans la première classe, deux tableaux, des cartes sur le mur, une frise chronologique, des plantations de lentilles et une caisse avec des vers à soie, des herbiers, des vitraux faits à partir de feuilles de couleur transparentes, des gravures sur papier d’aluminium, des plantes vertes,  une armoire et à l’intérieur  des serpents dans du formol, des poids rangées par ordre décroissant, une balance romaine, des plumes, buvards, boîtes de craie, des crayons et stylos, protège-cahiers en carton ou en plastique, gommes, éponges, ardoises, mines et porte-mines en laiton, colle blanche, compas en plastique, règles et réglettes, des cahier Héraclès et des cahiers de brouillon. Et dans le coin de droite de la classe, un carré de moquette, des coussins, des étagères. Sur les rayons, le dernier des Mohicans, la guerre du feuMichaël chien de cirque, Quatrevingt-treize, le Général Dourakinesans famille, en famille, des Alice, Fantômette, les six compagnons et le club des cinq. Sur un bureau un classeur à la couverture au tissu grenat et sur la page de garde un titre, poètes en herbe.

VERSO 

Redescendre la rue, se garer dans l’impasse, se tenir devant le portail fermé, devant une cour vide. Tu n’as plus le droit d’entrer. Mêmes préfabriqués, même portail, même peinture jaunâtre, mêmes portes. Seul a disparu le soufflet entre les deux classes, remplacé par des portes en planche, et des arbres ont été abattus. Dans la rue, des garde-corps en fer pour protéger les piétons. Les façades sont lépreuses. Illusion que le temps n’est pas passé. Et toi qui espères quoi, là? 

A propos de Betty Gomez

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4 commentaires à propos de “#rectoverso #05 | la rue de l’école”

  1. magnifique description d’une école comme les autres et le verso comme un couperet : toi qui espères quoi ?

  2. Toujours les grands_mères… Beaucoup de plaisir à lire ta description minitieuse de l’école qui ne change pas sauf à décrépir et oui qu’attendre des souvenirs:)