#rectoverso #07 | joli temps

Le fait est que pendant le confinement les murs nous contenaient tous, moi dans un étourdissement perpétuellement en mouvement pour ne pas risquer une phlébite car oui ce n’est pas recommandé de ne pas bouger et c’est un fait qu’en avion par exemple où le confinement s’impose réellement et cruellement rester assis sans bas de contention … et d’ailleurs, oui il faut contenir le sang dans les jambes sinon où irait-il s’emballer ce sang ça me laisse rêveuse, j’en ai les mains moites C’est un fait qu’il faut que j’arrête de penser à ça au sang et aux avions légers comme des oiseaux tout gris tout ternes comme la mort qui larguent des bombes sur tout ce qui bouge et le fait est qu’ils tuent sans discernement et pourquoi la mort viendrait-elle aux enfants aux petits enfants et à leur maman ? Le fait est que les miens sont confinés avec moi Le fait est qu’ils ont leurs téléphones portables qui pourraient les engloutir à trop avoir le nez dessus, avec leurs jeux et tout le reste qu’ils peuvent regarder sans comprendre et Le fait est que je m’en mords les doigts d’avoir permis cela un jour, qu’ils risquent beaucoup, bien que pas une phébite à leur âge. Le fait est que leur avenir me préoccupe sérieusement que j’en ai le cœur tout retourné Le fait est que ce dérèglement climatique s’annonce mortel aussi bien pour les humains que pour les animaux Le fait est que nous descendons peut-être d’un poisson ou d’un crabe ou d’un gentil mollusque vas savoir Le fait est que j’en ai la bouche sèche et le ventre qui vrille Le fait est que tout est pollué, que les relations humaines aussi et qu’avec le confinement, j’ai décidé de ne plus m’épiler tant que mon salaire sera inférieur au sien et le fait est que depuis, il me fait la gueule Le fait est que l’air est totalement vicié depuis et que seule sa colère resplendit.

Le fait que ma tête me dise des choses et ne veuille pas en démordre n’avance à rien. Le fait qu’à 40 ans passé je sois aussi nouille avec mes angoisses, mes peurs du jour et celles plus profondes de la nuit devraient m’inciter à prendre un peu de recul. Le fait que celui qui n’avance pas recule me donne un certain avantage. Le fait que dans l’enfance, mon institutrice me souriait et m’encourageait à me détendre aurait dû participer à me donner une confiance en la vie. Le fait est que grincer des dents ne réveille pas les voisins, ne rend pas non plus intéressante devrait mettre fin à cette habitude de lapin névrosé. Le fait est qu’arrêter de penser à l’extermination des peaux-rouges serait un bon début, monter dans une montgolfière en talons pointus turlututu pour repérer un coin tranquille hors moquerie hors mesquinerie hors manigance serait peut-être une jolie façon de se réconcilier avec son double. C’est un fait.





A propos de Louise T.

Des fragments de vies dans divers lieux Afrique du Nord/France/Côte d'ivoire/ France. Villes et campagnes. Ecriture et Lecture. Aimerais être en lien plus étroit avec moi.

12 commentaires à propos de “#rectoverso #07 | joli temps”

  1. Merci pour ce texte très agréable à lire , un parler vrai qui en dit tellement sur notre humaine condition… de mère , de femme tout simplement …

  2. Merci Louise pour ce texte, et ses phrases libératrices : « Le fait qu’à 40 ans passé je sois aussi nouille avec mes angoisse » et « monter dans une montgolfière en talons pointus turlututu ».

  3. J’ai envie de lire « penser à l’extermination des peaux-rouges serait un bon début » plutôt qu’arrêter de etc. Cela changerait-il quelque chose au texte ? j’aime beaucoup ce qui pourrait passer pour une pirouette finale « C’est un fait. » Merci !

    • Merci Cécile pour la remarque et oui, ça ne changerait rien au texte sauf à relativiser les « petites peurs ». Très juste. Merci de cette proposition.

  4. Merci Louise pour ce texte que vous avez rendu palpitant avec les mots et les dérives du quotidien. Bravo

  5. J’ai bien aimé cette pratique de distanciation, de « coq à l’âne », comme ces ‘montgolfière talons pointus turlututu  » et « j’ai décidé de ne plus m’épiler tant que mon salaire sera inférieur au sien et le fait est que depuis, il me fait la gueule »!

  6. Jai beaucoup aimé ce texte, légère sensation de vertige entre étourdissement et engloutissement, j’aime aussi ce mélange de gravité et d’humour

    • Merci Muriel. Avant d’écrire j’ai pensé à mes souvenirs de l’arrache coeur (B. Vian).