#rectoverso #06 | Gaëlle Obiégly

Recto : Là tout près
Je ne sais pas pourquoi j’y pense aujourd’hui. Peut-être parce qu’il sont plus nombreux que mes vivants. Ceux qui sont partis sont plus nombreux que toute l’humanité réunie de manière générale, depuis le temps. Partent-ils vraiment ? Nous abandonnent-ils ? Ils sont là. Tout près. Le jour, la nuit, peu importe. Je ne peux me résoudre à ces départs et leur laisser un caractère définitif. Ils sont là tout près. Parfois, ils lisent par-dessus mon épaule. Ils m’observent et sont parfois surpris. Je les sens. Je les salue chaque fois que je les sens. Et souvent, ils sont souriants. Jamais ils ne sont mécontents comme si la laideur de ce monde ne les atteint plus. Parfois, je les sens si près que je leur parle et leur adresse un sourire comme si nos pensées dialoguaient.
J’aime les cimetières, j’aime m’y promener, noter le passage des saisons, écouter les oiseaux, surprendre un écureuil. Je marche dans les allées et souvent je m’arrête, je lis le nom des morts, j’imagine leur tête. Je note les associations de proximité involontaires, deux femmes l’une à côté de l’autre, quelle conversation pour l’éternité ? Près de ma mère est enterré un petit garçon d’à peine cinq ans, de l’autre côté, il y a la haie. J’aime l’ombre des grands arbres qui protège sa tombe. Malgré moi, je n’ai pu m’empêcher d’y voir quelques signes positifs. Désormais, je prends davantage de plaisir à préparer les couronnes et autres commandes funéraires. Quand j’ai commencé dans le métier, j’y associais de la tristesse. Aujourd’hui, c’est comme si je les accompagnais.

Verso : Mâchonner ses morts
J’étais tellement en colère contre eux que je ne suis pas allée à leur enterrement respectif. Je leur ai composé une belle couronne mortuaire pleine d’œillets et de roses rouge vif où j’avais pris soin de laisser les épines. Ma sœur a trouvé que j’étais trop dure, que j’aurais dû leur pardonner. Je n’ai jamais pu oublier. La douleur ne m’a jamais quittée. Se sont-ils rendu compte de la peine qu’ils nous ont causée à moi et à l’enfant ? Ont-ils un jour eu des regrets ? J’en doute. Ils ont réglé un problème, ils ont trouvé une solution qui leur convenait, mais ils n’ont pensé ni à moi ni à Paul. Quand je pense à eux, je ne suis qu’amertume, car rien ne pourra jamais être réparé. Je veux les oublier, mais je n’y parviens pas. Je ressasse, je rumine, je mâchonne mes morts.