#rectoverso #08 | Boké

C’est quand est arrivé le moment du maïs mûr que nous avons vraiment commencé le grand partage, Boké et moi. Nous venions de découvrir que nous étions nés en même temps, peut-être le même jour si l’on avait eu l’idée de noter les jours de naissance dans les villages du Wulli, en tout cas la même saison de la même année. Boké le costaud capable de dévisser à main nue un boulon vissé à la clé et moi, celui que les copains du même âge avaient toujours appelé le gringalet. Mais cela ne comptait plus à partir du grand partage des soirées avec Boké. Ça commençait à la nuit faite quand nous partions avec une torche du côté du marigot. On torchait la brousse, c’est-à-dire qu’on balayait la forêt épaisse du bord du marigot avec le pinceau lumineux de la lampe. On voyait s’allumer les paires d’yeux en vert, en rouge, en blanc… Dès qu’une paire jaune apparaissait, « Na nga taa », signal qu’il fallait rentrer à toute jambe pour éviter le lion ou la panthère ! Arrivés aux champs de maïs de bord du village, nous soufflions un peu. Là, Boké savait choisir les épis déjà mûrs. Là non plus, il ne fallait pas faire de bruit, les vieux nous auraient battus d’avoir enfreint la date de récolte. Arrivés à la case de Boké, il suffisait de ranimer les braises du fourneau à thé. Mais le maïs grillait en pétant parfois. « Fumiste ! » lui chuchotait alors Boké et je riais le premier et Boké riait aussi ensuite mais il ne fallait pas faire trop de bruit car les vieux auraient pu se réveiller et venir…

Eh, Babudu, il en pose des questions ! A la maman, il voulait savoir le jour, le jour même de la naissance mais on ne sait pas ça, ici… Pourquoi il veut vraiment savoir ça ? Il est tout maigre mais il ose venir avec moi torcher la brousse derrière le marigot. Il ose mais je vois qu’il est toujours prêt à partir quand on voit des yeux, même les verts des chevaux et des vaches ou les blancs des serpents, qui ne peuvent rien te faire, la nuit. Pour prendre le maïs, il dit toujours qu’il n’a pas faim, que ce n’est pas la peine. Mais je crois qu’il a peur des vieux et quand même, le maïs, il est content de le croquer quand il est bien grillé. Quand le maïs pète, il rit. Moi, j’ai surtout peur que ça réveille le père, qui dort dans la case à côté. S’il se lève et qu’il voit le maïs qu’on est allé prendre dans la nuit, ça va aller mal… Mais il rit, Babudu, et de le voir rire comme ça, je me mets à rire aussi.

2 commentaires à propos de “#rectoverso #08 | Boké”

  1. très belle ta toute première phrase
    et puis c’est si plein de joie ! rires et images venues d’en arrière de la brousse…