#rectoverso #08 | Pas la mer à boire

Recto

Le vent est long, le ciel bas gris, au carrefour mes amis écrivent leur fanzine. Les voir heureux, ma vie me peine. Succès dans leurs projets d’édition. Le froid nous enveloppe. Marchons tous les trois encore un peu, précédés de nos rires sonores. Les voir heureux, et les prendre pour exemple. Les manteaux de cendre ceignent nos coquilles douces. Le chemin est court, maintenant il pleut sur le pavé. Au carrefour sa main, la mienne. Son parapluie merveilleux. Les amis me présentent l’étincelle sans bruits. Son manteau gris fronce sous ses cheveux longs effluves vanille. Tous à l’abri. Le cœur fait des bons, le visage sourit. C’est elle, le sang, la forêt, le messager, les cris. Deux. Deux à se chercher dans les mimiques amusées du miroir de l’autre heureux. Ma coquille se fend. Elle pourrait être l’amie de cœur. Un appel pour se voir au ciné, une séance, un café. Sa voix désagréable dans les aigus. Des nuits acides, je réponds à ses messages. Elle lit tout, des phrases courtes, des phrases longues. Rien d’excitant ni de romanesque. Elle voudrait écrire du monde. Des projets bien écrits. Plein de descriptions de paysages. Des arbres. Des cimes cachées de hauts murs. La forêt la surprendrait au travail. L’après-midi chez elle, ses cheveux blond vanille sur mon épaule. Nous voir amoureux, des tentatives. Ma vie vide me peine. Des tentations sourdes sa main dans la mienne. Elle recopiait le texte encore une fois. Gris. La couverture du fanzine, toute notre histoire. Je suis encore effondré.

Verso

La ville ; l’air est glacé. Je m’ennuyais. L’autre n’est jamais reparu. C’est ça, ils disent de rappeler. Allez au revoir. C’est ça ma vie mais ç’est pas une vie. Me sentir fascinée, par l’allure sur le pavé. Une cigarette froide écrasée, l’odeur piquante s’évanouit dans le méandre des bras jamais revenus. Je tombe sur le type inconnu avec mes éditeurs. Amis aussi. Amis si on veut. Tu veux voir les contrats. Celui-là sera le bon. J’ouvre mon parapluie gris argenté. Ma sœur ferait des bons ; paie-toi, non, mais paie-toi, vas chez un psy franchement. Mes rencontres, la rencontre, l’histoire jamais à la hauteur. Soit prendre les voiles, soit se glisser sous les couvertures. Je veux dire j’avance seule ; j’avance toute seule. Un charme fou, ce gris dans les cheveux ; plus mordant encore que. Comment s’appelait l’autre qui m’ennuyait. Oui, se revoir et sentir ta sueur. Les yeux dans les yeux; non déshabille-moi. Mets tes mains sur ma peau, serre-moi contre toi, respire mes cheveux Shalimar. Désire-moi. C’est pas la mer à boire. Autant finir avec mes tripes sur le pavé. Ou préférer un coup vite fait, jamais à la hauteur. Mais non, ma sœur, il ne s’est rien passé. Le psy, oui, je sais, le psy ce qu’il dirait, je sais — misandre. J’ai rappelé l’autre, le moins con. J’avance seule. Va te faire voir, tabac froid. Plus jamais de chaussettes, ou un slip sur mon lit. Ce n’est pas gagné les relations pansements. Me voilà, me voilà contente de rentrer. Chez moi, des messages pour asticoter les cheveux gris. Un film. Une séance encore, une crêpe, un café, un après-midi à la maison. Qu’est-ce qu’il veut le vieux jeu sans me déshabiller. J’ai pris sur moi, fait des efforts. Nous avons écrit jusqu’à onze heures du soir. Il a lu mes bouts de papier. Il aimait une phrase isolée. Va voir ailleurs ; barre-toi ; dégage. Ma sœur est formelle si la tour s’effondre sur l’amoureux ; préjudiciable. Faut que je digère aussi; ces histoires qui finissent mal. J’ai rappelé l’autre vite fait.

A propos de Michael Saludo

Formateur, je vis, écris et travaille du côté d'Angoulême.

5 commentaires à propos de “#rectoverso #08 | Pas la mer à boire”

  1. oh la la quelle soirée… ces deux côtés de l’histoire, lui et elle, lui en désir mais… et elle dans une attente inexprimable
    là tu nous entraînes dans les interstices et on sent le fardeau de leurs terribles solitudes
    magnifique…

    • parce qu’on finit parfois par ne plus savoir ce qu’on a écrit… alors merci beaucoup Françoise pour ton retour…

  2. Moi aussi, je me suis laissée emporter par eux deux, leurs portraits, leurs pensées, leur rencontre un peu ratée ? il me semble mais bien présente. Merci pour l’écriture, les mots, et les images des deux personnages.