tee-shirt orange – verre de pastis – terrasse
La langueur de l’été donne aux journées transpirantes la matière molle de l’abandon. Mets ton tee-shirt, tu vas prendre un coup de soleil. Pense à mettre ta crème solaire, tes lunettes noires, tes sandales, pense à ramener le pain. Les olives, aussi, pour l’apéro. Croire qu’on pense alors que le cerveau a déjà fondu, rejoindre le primitif de l’homme moderne. Ne plus penser. Le tour de France. La politique. Le voisin et sa BM. Donner aux neurones leur dose quotidienne d’anis et de vide. Il est où mon tee-shirt orange ? Là, devant toi, sur la chaise. La merguez a refroidi. Mort cérébrale. Putain de vacances…
grosse clé en fer – sirop d’orgeat – remise
Odeur humide du bois des meubles et de l’encaustique. La grosse clé en fer est suspendue au crochet. Là où elle a toujours été, derrière le battant de la porte du couloir. Je descends à la remise. Remonte-moi une bouteille d’huile d’olive. Goût de sirop d’orgeat dans la bouche. Je ne sais pas si le sirop d’orgeat existe ailleurs que chez mes grands-parents. La porte de la remise est difficile à ouvrir, la clé difficile à tourner. L’escalier est raide, les souvenirs de la famille dorment dans des caisses en bois. J’ai toujours été attiré par cette remise, mais quand j’y suis, je n’ai pas envie d’y rester. Des fantômes me soufflent dans l’oreille.
grosse clé en fer – sirop d’orgeat – terrasse
La pluie tombe et inonde la terrasse. Jour d’enterrement, tu voulais quoi ? Un barbecue ? Ils étaient vieux, ils ont eu une belle vie… Vous avez pas fini avec vos clichés ? Quand j’étais môme, ton grand-père me filait des torgnoles quand il avait trop bu de mauresques. C’est quoi des mauresques ? Pastis et sirop d’orgeat. Le gout du sirop d’orgeat me revient encore dans la bouche. La grosse clé en fer n’est plus accrochée derrière le battant de la porte du couloir. Je l’ai prise, j’irai trier les affaires dans la remise après l’enterrement.
tee-shirt orange – verre de pastis – remise
Dans la remise, les caisses en bois sont empilées comme des cubes. J’ai de nouveau envie de partir. Une vieille photo encadrée est posée par-dessus. Je prends un chiffon qui traîne, c’était mon tee-shirt orange on dirait. J’essuie. Le grand-père en militaire. L’est heureux avec ses potes du régiment. Pas sûr de vouloir ouvrir les caisses en bois. Pas sûr de vouloir savoir. Un verre vide est posé par terre. Je le prends, il sent encore le pastis. Je ne suis pas le premier à être venu ici. Je ne suis pas le premier à me demander s’il est bien utile de fouiller dans ce passé. Je remonte l’escalier de la remise avec mes souvenirs. Je reviendrai foutre le feu aux caisses en bois.

Super textes. Drôles, vivants, acerbes. Je les ai lus avec un grand plaisir et des sourires entendus. Merci
On lit avec plaisir ces différentes combinaisons qui s’imbriquent comme caisses en bois et souvenirs. L’écriture nous en donne la clé. Merci.
J’aime beaucoup le sirop d’orgeat et la construction, les emboitements de votre texte. Merci.
comme si tu avais le droit de tirer trois cartes à chaque paragraphe et à en tirer une composition, une scène du passé le plus souvent, et tout le temps y passe, enfance et le reste
tout ça pour finir par « foutre le feu » aux caisses de la remise…
beaucoup aimé tes compositions…
…un film … genre court métrage avec gros plan sur détails qui jouent un vrai rôle…merci ! longtemps que je ne suis allée au cinéma!