Ce n’est ni à Saint-Denis, ni à Aubervilliers, mais c’est juste à côté, dans un petit quadrilatère coincé entre une rampe d’accès à un parking aérien, une école primaire et quelques entrepôts. À l’horizon, dans la lumière pâle du matin, se dessinent les contours flous d’un îlot déserté. À l’approche, un œil plus aguerri distinguera un édifice d’un étage serti dans un espace vert et arboré. L’accès au bâtiment se fait par une large langue rose bitumée, bordée sur chacun de ses côtés par une végétation luxuriante. Deux grosses pierres granitiques barrent l’entrée aux véhicules qui oseraient s’aventurer plus loin. À pied, le passage entre les deux mastodontes est aisé. Dès les premiers pas, la silhouette du marcheur se mélange aux ombres dansantes des rangées d’iris et de jonquilles. Au milieu de la chaussée, une grande toile épaisse et imperméable sert à dissimuler un artefact oublié. À l’extrémité de l’étrange forme bâchée se trouve une allée perpendiculaire entièrement dallée. Au bout, un espace grossièrement pavé accueille une table de jardin et ses chaises. Tout autour, de l’herbe à foison, des buissons et un prunus en majesté. Un peu plus loin, les fouines et autres carnassiers farfouillent dans les moteurs de voitures et grignotent des câbles électriques.
Du bureau, en hauteur et à travers la vitre en partie occultée par une plaque de polystyrène découpée, la vision est toute autre. En regardant en lieu et place du tuyau de la climatisation, là où l’air aurait dû circuler, il est possible d’apercevoir ce paysage tout en courbes, comme dans une mandorle.
Sous l’averse, l’enclave est jonchée d’immenses flaques d’eau miroitantes où l’œil s’enivre. Les verts feuillages se font plus intenses. La broussaille se fortifie. Les ombres se dissolvent et la terre embaume. Des cohortes d’escargots envahissent les pelouses. Le ciel s’est paré de reflets aux couleurs d’ardoise. Les oiseaux ne se sont pourtant pas tus. La nature sature. Un homme arrive du fond du site en courant. Il ferme son parapluie, frotte longuement ses pieds sur le tapis et franchit le seuil de la porte. Une fois au sec, il se dirige vers la fenêtre et contemple sereinement le lieu qu’il vient de traverser. Mais soudain le ciel s’assombrit. Les brins d’herbe de la pelouse se ploient docilement sous les assauts du vent. Les gouttes d’eau sont devenues plus bruyantes. Elles se font lourdes et plus pressées. Le tonnerre gronde et le ciel se zèbre de longues raies argent et acier. L’homme ouvre machinalement son sac à dos et sort son appareil photo. Il se fige muet devant la vitre puis après quelques minutes de cette immersion optique, il se met à siffloter et à photographier le paysage pluvieux.
Sur les photos de l’homme s’entrelacent deux mondes, celui de l’intérieur et celui de l’extérieur. La silhouette évanescente du photographe se superpose aux éléments naturels. Il y a une impossibilité réelle pour qui les regarde de cartographier mentalement l’espace car on y voit constamment un paysage et son spectateur.
J’aime la lecture que ce texte engendre. Détachée, vagabonde, décalée presque. Merci pour cette exploration originale.