C’est un fjord, mer d’huile. Jamais vu une mer si immobile. C’est une saison sans nuit, alors la mer ne bougera pas non plus dans le noir. C’est juin et encore la fin de l’hiver à ces latitudes. Neiges sur les sommets qui marquent les îles, pas très loin. Et tout en double, reflets parfaits.
Elle ne sait plus où poser les yeux, vers le haut et l’immobilité des cimes, vers le bas et celle de leur reflet. Trouble. Le turquoise de l’eau froide l’invite. Se baigner, peut-être.
Sur la rive, non loin, un petit phare orange. Elle aime les phares, ne sait pas pourquoi. Celui-ci ne sert à rien en cette saison. La côte est bien visible, temps clair, un air si pur que les lieux se dessinent comme au fusain. Tout semble proche.
Désir de solitude. Sur son bateau, voiles affalées, ancre plantée dans un fond lui aussi immobile, elle se repose des autres. L’équipage est parti à terre, elle reste seule. Stupéfaction. Déconcertée: le Nord est aussi immobile que le Sud, l’Est ou l’Ouest. Rien ne bouge. Au ciel, ni nuage ni vent pour le pousser.
Calme plat. Pétole disent les marins. On n’avancera pas aujourd’hui. Elle se décide pour un bain. Froid, très froid. Impression de pénétrer une flaque d’huile. Ça ne dure pas. Il faut sortir de là, vite.
L’immobilité se communique à son corps, paralysé, frigorifié. Elle se hisse à bord, lentement. Glacée. L’eau est si claire. Purifiée ?
Elle ne fait rien, ne peut pas. Elle se couvre, assise, immobilité contagieuse. Ankylose. Sidération.
Son esprit suit son corps. Ce calme lui apportera-t-il désir de pardonner, envie de supporter ? Et s’ils ne revenaient pas, pas tous en tout cas ? Pas eux, pas ceux-là. Son regard se perd sur l’étendue inerte. Rêve. Rêverie.
Je ne connaissais pas la pétole ; pas un pet de vent ! Merci pour ce beau texte. On ressent l’inquiétude engendrée par l’immobilité.