#rectoverso #12 | désarmé

RECTO
Le début de l’histoire c’est la musiquette de fond d’un bistrot rue des Écoles, une chanson désuette. Je cherche un livre de Mendoza, el misterio de la cripta embrujada, une histoire de sorciers en espagnol, l’idéal pour lire sur la plage. La librairie est fermée, une histoire d’inventaire à laquelle je ne crois pas trop, je vais prendre un café et hop, la petite musique. Un coup de Shazam — Souffrir par toi n’est pas souffrir — et je plonge dans des chansons oubliées sans vraiment l’être.
En 1964, la ville dans laquelle je vis s’appelle encore Tananarive. Premiers 45 tours, c’est maman —elle a 40 ans— qui les achète aux Nouvelles Galeries, sur la pochette, il gratte les cordes d’une cithare, derrière lui une contrebasse. Le coeur gros. Pourquoi cette chanson reste alors que ce jour-là, arrivent aussi Sacré charlemagne et Si j’avais un marteau. 1974, queue de colonisation, A Vava Inouva dans les rayons vides des Galeries Algériennes. Et ce long détour pyrénéen seulement pour Monsieur le chef de gare de La Tour de Carol, je voulais vous dire : merci pour le gilet. Et puis un été seul, en boucle pendant des jours, le double blanc de Fontaine-Areski. Et puis Gaby et puis Saumur, elle est si jolie, début des années 80, beaucoup de temps au lit, une chanson dans la ville Ma doudou, jamais partie de ma tête. Et puis Ya Rayah, Rachid Taha à Paimpol puis Dahmane El Harrachi, Alger 2024. Et …

VERSO
Ça serait une belle histoire — certes insuffisamment documentée mais ce n’est pas une thèse — qui se terminerait avec Céline Dion sous la pluie en haut de la Tour Eiffel. Mais Irene s’est réveillée tôt ce matin, elle s’est levée, elle a rédigé un texte qu’elle veut me faire lire. Ça commence comme ça : « Je me désolidarise du gouvernement d’Israël. Je me désolidarise des juifs israéliens. Je me désolidarise du sionisme et je me désolidarise de l’état d’Israël. C’est très compliqué de dire « je suis juive » aujourd’hui ».
Un long texte qui pourrait servir pour le Seder de l’année prochaine, autant dire dans une éternité. Y aura-t-il encore des vivants à Gaza ?
Alors c’est quoi mes histoires ? Souvenirs de chansons douces ou écoute d’une compagne désemparée au point d’écrire ça un matin d’été ? Certainement les deux mais alors, comment je m’en dépatouille ? Je dis « c’est loin, je n’y peux rien, j’oublie » ? Et si je ne m’en fous pas, quoi ?
A quoi sert une chanson si elle est désarmée ?

A propos de bernard dudoignon

Ne pas laisser filer le temps, ne pas tout perdre, qu'il reste quelque chose. Vanité inouïe.

10 commentaires à propos de “#rectoverso #12 | désarmé”

  1. Merci Bernard pour ce texte à deux niveaux. Oui, les chansons semblent parfois bien dérisoires au regard de ce qui se passe à Gaza. Et pourtant…

    • Merci Betty. Je n’ai aucune mémoire (parfois c’est bien utile) mais je connais encore par cœur des chansons totalement désuettes.

    • C’est loin ! et le personnage, c’est moi. Avez vous un rapport avec un Olivier Kah (je crois qu’il écrivait son nom Ka’) qui était un copain. Si j’ai bonne mémoire, son père était parachutiste.

  2. … Je veux être utile
    À vivre et à rêver…
    Merci pour ce texte armé d’amour, de nostalgie, de cris du coeur, qui sert à encore rêver…

  3. Merci pour ce texte très fort. Une chanson n’est rien, en apparence, face aux tourments du monde, mais elle contient parfois, encapsulé dans le sucre, la graine de la révolte.