Codicille D’abord pour que tout le monde le sache bien, je n’ai pas la prétention d’écrire un livre, loin de là. J’avais bien pensé enfant être Flaubert quand ma sœur guère plus âgée que moi lisait Madame Bovary et que mon père portait une veste d’intérieur bordeaux. Madame Bovary c’est moi aurait dit Flaubert alors moi je suis Flaubert aurais-je dit, nouant sur mon ventre la ceinture de ma robe de chambre en tissu matelassé bleu. Depuis je ne suis pas allée plus loin dans mes allégations ni dans mes velléités à devenir Flaubert. Ou écrivain. En lisant et je lis beaucoup, je remplis des cahiers des carnets de notes en tous genres quand ça n’est pas sur des papiers volants dont je perds rapidement la trace. Ensuite j’empile carnets et cahiers par catégories dans des boîtes et des casiers appropriés dans le meilleur des cas. Dans le pire des cas en piles bancales sur des chaises ou dessus de meubles. Dans tous les cas j’ai la surprise de retrouver mes notes, celles que j’avais perdues, celles que j’avais oubliées, celles que je ne cherchais plus. Et me dire bon tu fais quoi maintenant ? J’en suis là. A me dire bon et maintenant tu fais quoi ? La participation à des ateliers d’écriture plus ou moins fructueux (les ateliers) fructueuse (l’écriture) me donne chaque fois l’espoir que ça y est, il se passe un truc, j’écris un livre et puis non. Je m’aperçois surtout que toute cette matière aussi belle soit-elle accumulée au fil des années tourne en rond autour d’un sujet à qui je n’arrive pas à tordre le cou. Je remplis donc de nouveaux cahiers au format 24x32 pour y insérer les fiches d’appui. Je continue de prendre des notes sur les propositions, d’amorcer au brouillon manuscrit mes textes avant de passer au clavier. La question reste posée : que faire de tous ces textes qui s’écrivent d’un atelier à l’autre ? Je doute que Sei Shônagon vienne à mon secours. Mais je veux bien essayer. Quoi que je n’aurais pas dû lire la première contribution postée. Quoi écrire après ça ?
Recto
Depuis le 17 mai 2024, je relève systématiquement une phrase ou un bout de phrase ou juste un mot de la page 111 des livres que je lis soit quatre-vingt au 1er août 2025 (peut-être en ai-je oublié en cours de route). Pourquoi la page 111 me direz-vous ? Parce qu’il existe un prix littéraire de la page 111 et qu’une amie (Annick Latour) animant un atelier d’écriture furtive en avait fait le cœur de sa proposition. En les relisant aujourd’hui et en les assemblant, certes pas dans leur ordre de lecture, je peux déjà écrire la biographie qui accompagnerait mon livre. Je vous la livre.
(L’extrait plus long entre guillemets appartient à Gertrude Stein dans Américains d’Amérique. Pour les autres, il faudrait que j’en établisse la liste)
« C’était l’été
La terre qui soudain bascule
Sa vision se troubla subitement. La cage thoracique oppressée dans un étau invisible, il halet[a], le souffle court
La sidération
Il était parti
J’ai cherché le moindre signe, quelque chose qui aurait pu ce soir-là
Elle y avait repensé longtemps sans trouver d’explication
Ils ignoraient qu’un jour la mort
Par une nuit de fin [juin]
Papa n’est pas là ? me demanda l’enfant
L’enfant [n’]avait [pas] pleuré. Des larmes lourdes qu’il avait [enfouies], les poings serrés au fond des poches de son short, le regard rivé au sol
Il regard[a] le sol
A compter de cette nuit-là
Elle n’oublierait jamais [son bras] glacial comme la pierre
L’été s’avançait
Son mari mort la veuve
Comment [s’occupa]-t-elle de la ferme ?
Un jardin d’un demi-mètre carré suffirait
« Ils eurent tous trois, durant leur enfance, un réel goût pour l’existence à la campagne. La propriété, avec ses [hommes] occupés aux travaux des champs, ses poulets, ses canards, ses arbres fruitiers, les foins, les semailles, les vaches et le potager, avait enraciné en eux ce sentiment. Ils goûtaient la vie à la campagne, qu’on gagne durement, par de rudes travaux.
La mère, au contraire, n’eut jamais ce goût »
Elle aimerait partir mais ne sait pas ce que partir veut dire
Cela m’étonne
Dix ans
Dix ans plus tard
Pour le dimanche [29] juin on pourrait
La nuit s’enfuit »
Verso
- Choses entendues chez le coiffeur
- Les potins
- La presse de salon
- Les magazines en papier glacé
- Les influenceur-euses (influences heureuses)
- Choses entendues à l’hôpital
- Choses qui tuent
- Choses qui me tuent
- Choses tues
- Choses silencieuses
- Choses qui font du bruit
- Choses qu’on n’écoute pas, qu’on ne veut pas écouter, qu’il ne faudrait pas avoir entendues
- Choses mortes depuis longtemps dans la remise
- La dent de lait d’une génisse trouvée au fond de la mangeoire et déposée sur le rebord de la fenêtre. Elle est là quand on ferme le volet. Objets déposés sur le rebord de la fenêtre.
- Choses qui ne meurent pas
- Choses qui fondent au soleil
- Choses qui vieillissent
- Choses qui ne vieillissent pas
- Choses qui font polémique
- Choses qui se fanent
- Choses qui s’arrachent
- Choses qui se moissonnent
- Les légumineuses
- Choses qui se disent
- Choses qui ne se disent pas
- Choses qui s’écrivent
- Choses qui ne s’écrivent pas
- Choses qui résonnent
- Les échos
- Le chien en son royaume
- La soupe
- Les faits étranges
- Les faits troublants
- Choses du passé
- Choses qui me semblent de nature à dire qui je suis
- La poésie
- Mes arbres
- Platane
- Chêne
- Marronnier
- Les herbes
- L’ambroisie
- Les déchets dans les parcelles, pire que l’ambroisie au bord des chemins
- La médiocrité manifeste
- Les gens sciemment malhonnêtes
- Les réflexions que je fais en mon âme
- Les idées d’une qualité ordinaire
- La liste des courses
- Les sujets possibles de propositions d’écriture
- Les carnets dédiés – au pluriel s’il-vous-plaît – aux sujets possibles de propositions d’écriture
- Le carnet dédié aux couleurs de l’arc-en-ciel repérées dans les livres que je lis
- Le cahier dans lequel j’inscris les livres que je lis, par auteurices, titres, maisons d’édition, années, les citations qui me plaisent
- Le cahier dans lequel je projette de recopier toutes les notations déjà relevées dans les livres que je lis sur un regard à travers une fenêtre
- Le cahier qui contiendra de même toutes les notations sur la pluie et le soleil que j’ai déjà relevées et que je relève encore dans les livres que je lis
- Les ciels
- Le carnet dans lequel je relève systématiquement une phrase ou un bout de phrase de la page 111
- Les pages 111 qui ont reçu le prix de la page 111
- De manière pas tout à fait arbitraire le prix du Livre Inter depuis 1975
- Les séries photographiques
- La chaise rouge du Centre Pompidou
- Platane
- Le chat Patate – une chatte en réalité
- Les boîtes à livres
- Les cœurs glanés de ci de là
- Les tags
- Choses insupportables à entendre comme malgré tout
- Textes sur les évènements qui se sont déroulés
- Idées qui me sont venues spontanément à force d’y réfléchir
- Celui à propos duquel je me demande si son aspect aurait tellement changé, supposé qu’il fut, après avoir quitté ce monde, revenu dans son corps
- Livres classés par maisons d’édition et par ordre alphabétique d’auteurices
- Eléments notés dans l’agenda
- Agendas de 1992 à 2025
- Dictionnaires
- Bibliothèques et médiathèques du département et des départements voisins
- Librairies
- Choses ambulantes
- Choses clairvoyantes
- Choses ennuyantes vs choses ennuyeuses
- Choses qui mouillent
- Choses compromettantes
- Choses difficiles à dire
- Choses pénibles
- Les formulaires administratifs
- Choses professionnelles
- Choses commencées loin d’être finies
- Objets que je n’aurais jamais chez moi (canapé et charentaises)
- Tables d’écriture
- Marche, margelle, escaliers pour lire
- Moyens de transport
- Itinéraires
- Titres de transport
- Tickets de caisse
- Billets de cinéma
- Entrées de musées, d’expositions
- Timbres-poste
- Cartes
- Analemme solaire
- Analemme lunaire
- Le gros lampadaire
- Les chiffres
Merci de ce codicille Cécile, écriture en cours de la 11 de mon côté. même réflexion que toi : quoi écrire après ça ? je reviens chez toi dans quelques temps…
Ce codicille m’a bien aidée. Puisses-tu écrire Isabelle, lance-toi !
Merci Cécile, parfait désarroi bien connu, ordre et désordre des notes dont on ne sait plus dans quel manuscrit elles iraient puisqu’on n’a pas les manuscrits, ah c’est bien écrit! Très belle première partie du texte, ça ferait un bon début de manuscrit, ça accroche, c’est drôle, c’est fin, c’est simple.
Merci pour ces encouragements qui m’ont bien aidée, Valérie, je vais pouvoir aller lire sereinement les contributions postées.
Bravo Cécile. C’est très fort et largement aussi passionnant que Gertrude Stein (dont je lis, en sautant des bouts, l’autobiographie de tout le monde). Sa liberté apprend beaucoup. Je passe à Gens de Beauce d’Obiégly…et je me demande si cela te plairait.
Ma liste s’allonge avec les livres à lire. Je vais d’abord voir lesquels je trouve dans ma flopée de médiathèques… Merci Danièle pour ta lecture et tes conseils de lecture.
Et pour compléter, la première phrase de la page 111 du livre que j’ai sous les yeux (c’est véridique) : « Il y a des choses dont je n’ai jamais aimé parler » – L’étranger, Camus.
Merci Sylvia d’insérer une phrase de Camus dans l’écriture qui se dérobe de Sei Shônagon. Merci pour le cadeau !
Un jour, nos bribes commencent à faire quelque chose avec nous… Je me souviens d’un zoom de l’an passé où Graciane s’inquiétait de cette somme que nous accumulions. Une saine réflexion avait été lancée à ce sujet. Un peu comme tu viens de le faire dans ton codicille et par ton texte. Merci pour la découverte de « Analemme » qu’on aurait envie de prononcer « analame » s’il ne s’écrivait pas aussi avec un accent grave. L’âne à l’âme serait cette petite mule corse qui obstinément tire l’écriture.
Merci Emmanuelle
« Je m’aperçois surtout que toute cette matière aussi belle soit-elle accumulée au fil des années tourne en rond autour d’un sujet à qui je n’arrive pas à tordre le cou » Superbe codicille, il dit si bien ce qui arrive et pas ( j’aime la beaucoup la robe de chambre bleue)… » A compter de cette nuit-là » ce collage (de la page 111) quelle ouverture !
« La dent de lait d’une génisse trouvée au fond de la mangeoire et déposée sur le rebord de la fenêtre. Elle est là quand on ferme le volet. Objets déposés sur le rebord de la fenêtre. » Merci Cécile.
Merci Nathalie
Et voilà que je lis objets dérobés sur la fenêtre plutôt que déposés. C’est encore mieux comme porte dérobée, chemin dérobé, l’écriture qui se dérobe. CQFD.
Cécile, toujours le plaisir de retrouver tes petits arrangements et protocoles d’écriture, et qu’est ce qui pourrait me plaire plus que ce début de livre (qui n’en serait pas un?) en cut-up de notes lues !! et comme toujours, ce miracle, on n’est jamais aussi près de ce » sujet à qui on arrive pas à tordre le coup », au plus près de soi que quand on utilise les mots des autres, merci toujours Cécile pour ça
( et vive les p.111, et vive annick latour)
Le cut-up ça te connaît aussi Line. Tu y es peut-être pour quelque chose dans les miens d’ailleurs, qui sait ?
Merci Cécile. Que d’échos…que d’idées stimulantes aussi. Et puis ce sujet obsédant et les accumulations de matières au fil des ateliers, mais je me dis que ça sédimente, qu’un jour peut-être quelque chose de fini va éclore, et puis en attendant quel plaisir de lire, de prolonger le geste de lire par l’écriture, d’inventer des protocoles réjouissants. Depuis le début de l’atelier en tout cas, une force poétique dans tes textes qui très souvent me saisit. Alors, l’aventure continue !
Merci Emilie pour ta fidélité à me lire. Pas été très présente tous ces jours. Je te suis aussi de loin ^^