RECTO – amplification

Choses tout en haut, tout au bord, tout en bas
Tout
en bas,
de la haut
des têtes d’épingle,
visages relevés vers
la lumière et le grand air,
le soleil, et moi, tout au bord,
du tout en haut, du pont de levage de
l’ancienne gare d’Arudy, dans les Pyrénées,
une arche en acier, vestige industriel très Tour Eiffel,
sur une friche au cœur de la ville, une histoire pas seulement
carte postale noir et blanc sur fonds de nuages et d’étourneaux,
non,
trépas
en cours
une bascule, pas
loin de la route, de
ses vrombissements
passages de voitures,
et autres engins motorisés,
mais,
en suspension,
un souffle, peut être
un ange tendre et silencieux,
alors, en bas de l’arche à l’acier rouillé,
un accordéon déplié, une fanfare Klezmer,
tandis qu’en haut, mes orteils écartés, s’agrippent encore
superpositions – ma peur, un soubassophone, la mort – ma peur, un saxophone, un violon, la vie – ma solitude, et une guitare électrique – mon absence à la vue de tous, et un roulement de percussions.
C’était
il y a 20 ans, j’avais 12 ans,
depuis ce jour, ne plus pouvoir être soi. Que ça s’arrête. En finir. Chasser les démons, ne plus espérer une réponse de maman, tant de questions, pourquoi moi, pourquoi cela a commencé, quand terminera ce cauchemar, et l’Humain dans tout ça,
le vide sous mes pieds, le dégoût de vivre, vomir à la seule vue du bistrot familial, de ma mère et de ses omelettes, de mon père qui me précède à la cave, il fallait prendre un petit couloir, dans le couloir il y avait des poutres, c’était sur ces poutres qu’étaient installées les jarres, j’avais une peur bleue parce que, il y avait aussi de gros rats sur les poutres, de très gros rats, leurs queues pendaient, maman mettait un produit dans la jarre, comme ça les œufs se conservaient longtemps, je mettais ma main droite dans l’eau de la jarre pour prendre les œufs, l’eau faisait une drôle de pellicule blanche qui restait sur mes mains, je ne me suis jamais souvenue de ce qu’était ce produit, j’entendais maman m’appeler depuis la cuisine, mais elle ne m’entendait pas depuis la cave, selon ce que maman préparait, je remontais les escaliers avec entre trois et six œufs dans un petit panier, le produit avait une drôle d’odeur et mon père me disait d’aller me laver les mains vite fait à la salle de bains, et c’était lui qui se chargeait d’apporter les œufs à maman, papa avait toujours l’air rudement content quand maman faisait des omelettes, des œufs au plats, des œufs à la coque, mi mollet ou pas, les œufs vraiment ça le mettait en joie, et ça nous changeait maman et moi, parce que papa était rarement content, c’était comme ça, souvent j’avais faim, mais je préférais aller me coucher et laisser papa et maman manger les œufs, mais alors papa me grondait, me faisait les gros yeux, alors que quand je mangeais les œufs, papa était tout joyeux et me demandait de monter sur ses genoux, m’embrassait dans le cou, souvent c’était le moment où maman commençait à faire la vaisselle, elle me tournait le dos pour la faire,
au bord de l’abime, dans sa petite robe acheté au marché, dans ses sandales mal attachées, ‘la petite du bistrot’ à l’avenir entaché, a si peu souri, si peu mangé, n’a dit mot, son seule passe-temps, l’ennui et le vomi. Un peu le dessin.
Au bas de l’arche, ce parterre de cyclistes stoppés dans l’élan, des ribambelles d’yeux exorbités, fascinés par la funambule, des bouches en apnée, des mains en casquette pour éviter le face à face avec le soleil, il est midi, des tournis, des cris, l’arythmie des cœurs – si longues ces minutes, ces minutes juste avant la chute, juste avant de descendre les escaliers dans la cave, juste avant ce petit bruit des rats à l’affût, juste avant l’épouvante,
les yeux clos, me pencher, je tomberai au bas de l’arche en acier, je ne sentirai plus rien, être à vue pour une fois, l’ombre d’ange, elle, pourra dire, me dira – voilà, c’est fini, tout ira bien maintenant,
en bas de l’arche, la vie me manquera-t-elle, j’ai attendu si longtemps que la voix vociférante et salement murmurante s’éloigne, aucun être humain n’a empêché la prolifération des frétillantes queues de rats, j’ai voulu apprivoiser l’angoisse de vivre, ne plus penser même avec un goût de sang et de sperme dans la bouche,
en haut de l’arche, les yeux fermés, je danse, la fanfare ne joue plus, mais même pas peur, oublier les images des yeux libidineux et complices des clients du bistrot, celles de mon père qui me bécote alors que ma mère fait la vaisselle,
en bas de l’arche, ils me verront crever en direct, mais moi je ne regretterai pas, la baguette en bois doré qui sert de cadre au tableau en face de mon lit, ni les coups de pinceau pour signifier les fleurs bleues aux pistils rouges et charnus du bouquet, encore moins les brins miniatures peints vite fait sur le côté inférieur droit du vase – un panier – la peinture de mon père, son cadeau pour la fête des mères.
Choses dans l’ombre
Alors, l’ombre se penche vers moi, suspendue elle aussi dans le déséquilibre – un souffle léger dans ma coupe bol – c’est ma mère qui me coupait les cheveux – je n’ai pas de chapeau, suis-je la seule à prêter attention aux poussières d’âme, le mouvement de la mort est si discret, n’est frémissant qu’en quelques rares occasions. On bascule si vite, de l’être au non être,
alors, sur l’extrémité du terrain vague, à quelques mètres derrière moi, une porte de hangar taguée s’ouvre, il est midi passé, une masse d’étourneaux virevolte – parchemin mouvant qui vole à ciel ouvert – s’engouffre à l’intérieur, en ressort – je les regarde au bord du vide, avec eux m’envoler, fuir les prédateurs,
alors, un petit vent frais s’élève, flotte dans ma robe, et une banderole de nuages blancs se déplie au sommet du pic d’Ossau, en bas de l’arche, les NON de l’assemblée de cyclistes à l’arrêt, dévastés, aspirés, affolés,
en face de moi, entre deux angles d’immeubles, la perspective d’un rayon de soleil, dans un coin à droite, un couple de jeunes, les bras de l’un autour du cou de l’une, le blanc de leurs peaux sur le noir de leurs vêtements, au hasard au milieu de la foule, le toucher d’une main sur une bretelle de sac en tissu, comment cette main, la gauche caresse la bretelle du sac et l’enroule nerveusement entre ses doigts, comment l’autre main, la droite, sortie d’une poche, se réfugie sous le sac tissu comme dans un fourreau, comment je baille, et comment l’ombre se met à bailler aussi,
c’en est fini du jeune homme derrière ses lunettes qui vient parfois le samedi au bistrot et me regarde avec timidité assis à la table du fond – sans lever la tête, je, traçais des traits avec un stylo à bille noir, sur une feuille arrachée dans son cahier d’école. Et puis, je sortais de ma trousse des petites épingles, et je transperçais mon dessin avec des épingles, oui je les transperçais avec beaucoup d’attention même, il avait profité que je lui tourne le dos, pour s’emparer discrètement du dessin épinglé sur ma table, et il avait plongé dans la galaxie des minuscules traces de trous éparpillés sur le bois. Plus tard, il avait épinglé mon dessin sur le banc du jardin public,lui et moi, ne nous lassions pas d’attraper les silences et les oublis des sourds échos de nos solitudes.
donc – je ne grandirai plus, ne connaîtrai pas d’îles et de pays lointains – sable de Casamance, gris, ocre, noir, beige – donc, je ne porterai pas cette robe de mariée avec de la dentelle rose, aperçue un jour épinglée sur un mannequin, donc – ne mangerai pas d’huitres sur le bassin d’Arcachon, n’aurai pas la joie d’enterrer mon père et de voir ma mère vieillir en EPAD – oh que je suis fatiguée – la fanfare ne joue plus – donc- alors – fini – Un deux trois soleil – j’ai froid, j’ai chaud.
Choses difficiles à dire
un suicide dit-on en bas de l’arche, je ne sais, je ne sais pas si je suis là ou pas, ça crie, ça s’agite, ça appelle les secours, je vois sans voir, sur le vieux rail de la gare en berne, surgir un train, il traverse l’arche, me traverse, bruits de sifflements et d’acier rouillé, carambolage, à l’ancien pont de levage de la grande époque, les pierres bleues d’Arudy, se cognent, rugueuses, coupantes, noires, L’OMELETTE, SAUF QUI PEUT. Coq parade dans le poulailler. ELLE brisée, dans l’angle mort de la basse-cour, en vrac, gratte le terre sèche, sauvagement. Limaces en pagaille. Dévoration. Dévoration du cru. Dévoration humanimale, la foire d’empoigne,
en transparence à cet instant, les hurlements étouffés des convois d’antan, ampliations, extensions, carambolages avec tous les renoncements de l’humanité, y compris ceux d’aujourd’hui qu’on n’attend le moins, amoncellements de corps, brûlés, putréfiés, et, l’enfance perdue dans ce fatras innommable, larmes insolubles d’une petite fille au sexe ravagé, qui dit sans pouvoir dire, qui dit déjà beaucoup. Ce jour, la lumière est l’objet même, elle n’est pas cette qualité abstraite qui rend les choses visibles, c’est un lieu lumineux peuplé de surfaces sans matière, sans fond, dans lequel elle s’immerge. Ce jour, l’espace n’est pas cette qualité concrète, qui donne une fonction à l’objet, il est le reflet mouvant qui répond à une logique de l’éphémère, qui fait entendre, donne à voir, à percevoir, à lire,

Choses qui font bouger mon imaginaire
- « Laisser courir son pinceau » en visionnant le film Les ailes du désir de Wim Venders, intuition de résonances avec ce recto-verso 11 de Sei Shonagon
- Lire Une femme sur le fil d’Olivia Rosenthal, et imaginer le spectacle de Chloé Moglia, L’art de la suspension ou laisser voir ce qui a lieu.
- Me souvenir de l’expo Song-Lines du musée du quai Branly à Paris (Chant de pistes du désert australien), c’était au printemps 2023 photo sur mon portable faisant foi – L’’histoire des sept sœurs et leur implacable poursuivant, un sorcier aux multiples visages, elles apparaissent et disparaissent continuellement dans le paysage, à l’intérieur des sources, dans les collines, les rochers, les arbres, peigne leurs contrées, à même le sol, y consigne leurs savoirs écologiques, cosmologiques, et topographiques (cf les deux images)
- Accepter de m’éloigner du moins pour ce temps estival, voire davantage, des écrits au long cours, liés à l’interview et au documentaire
- Plonger dans des bribes de texte oubliés, en friche, les reconsidérer sous d’autres angles
- Me fier aux consignes recto-verso, trouvailles de François, chez nombre de femmes autrices,
- Tenter de les incorporer, tout en les contournant,
- Plonger dans l’instant présent surtout, ce que j’entends, perçois, voit en marchant, en vivant, noter, préserver ces éphémères
- Me laisser aller à de très lointaines et inconsistantes réminiscences bibliques
- Oser le magique, pourquoi pas, c’est beau une ombre
- La forme, le forme, la laisser venir, la susciter, la travailler
- Jouer de la ponctuation, des polices et de l’espace feuille
- Tenter l’image et le montage aux côtés du texte, apprendre la technique qui me le permettra davantage
- Enregistrer mes textes, apprendre la technique qui me le permettra
- Faire surgir une continuité dans le disparate, l’italique pour dire « les blocs » anciens que je retiens
- L’anonymat, porte ouverte à la liberté d’écrire, sur ce site à ola François Bon
- Lire, c’est écrire
Choses qui remontent vers l’écriture existante et pourraient encore l’alimenter
- # Recto 1 Annie Ernaud # Dès que ça sonne, on sait …
- # Verso 1 – Annie Ernaud # Et il y aussi l’odeur…
- # Recto- Verso 2 Maylis de Kérangal # Et puis, soudain, vacarme de ferraille, grincements rouillés du TGV pris dans une tempête de gravillons. Le train s’arrête.
- # Recto- Verso 2 Maylis de Kérangal # J’écoute la petite fille : la maman de Peau d’Ane est morte, pourquoi ? Elle était malade ?
- # Recto- Verso 2 Maylis de Kérangal #…sur le point de me parler. Mais de sa gorge ne sort qu’un raclement, une voix encavée depuis longtemps.
- # Recto-Verso 3 Camille Laurens # A vos marques prêts partez, la débandade mondiale
- # Recto-Verso 4 Marianne Alphant # Souviens toi ! Il nous faudra encore et encore, restituer l’incertitude de tous ces échecs cuisants, remonter le fil du temps de ces voies sans issue, mener des enquêtes, questionner le passé depuis le présent, renouveler, défataliser notre histoire, en suivant la trace des résistances, entrer au fond des interstices de la spirale du pire
- # Recto-Verso 4 Marianne Alphant # Elle voit mais flou. Elle a peu voyagé, a toujours eu peur de quitter sa rive et de plonger dans l’infini sans repère.
- # Recto-Verso 5 Joy Sorman # Quelque chose qui aurait à voir avec un réel réinventé, d’un lieu entre effervescence sociale et vie de village.
- # Recto-Verso 5 Joy Sorman # Un flot de paroles, livré presque tel que. J’ai voulu expérimenter le long flux de l’interview, la matérialité de ce réel comme écriture en soi.
- # Recto-Verso 6 Gaëlle Obliegy # Chaque jour, avec l’ombre de moi-même, je marche.
- # Recto-Verso 6 Gaëlle Obliegy # Je me méfie de tout ce qui s’immisce, se contorsionne, glisse dans les interstices, ni vu ni connu. Par exemple, quand je marche et qu’une écume de poussière est tout à coup balayée par le vent, n’est-ce pas le signe avant-coureur de… ? De…Je ne sais quoi… Saurais-je un jour ? Ce souffle du vent, fugace, rien ne me permet de saisir ce qu’il cache ou tente d’indiquer.
- # Recto-Verso 7 Lucie Ellmann # le fait que dans le reflet de la vitre, elle avait jeté un regard rapide et soupçonneux vers moi et qu’adroitement j’avais fait mine de ne pas la voir tout en lui faisant comprendre que je l’avais vue
- # Recto-Verso 7 Lucie Ellmann # le fait que papa attendait de savoir ce que maman allait faire à manger, le fait que maman me demandait d’aller chercher des œufs dans la cave enterrée, le fait que les œufs baignaient dans la jarre en terre
- # Recto-Verso 8 Nathalie Sarraute # Une frange, une coupe au bol, et petite, pour son âge. On avait quelque 25 ou 26 ans à tous les deux. ELLE, c’était la fille du bistrot Le Carillon au 135 avenue Michelet, à quelques mètres de chez moi, la seconde maison des vieux habitués du quartier.
- Verso 9 Triade 3 – Gertrude Stein #Tombent, roulent ses cernes dessous, marques noires poignard. Ont vu le loup, un loup pas empaillé, pas au musée. Pupilles hallucinées, nez bouché dégoûté, langue figée, exorbitée, dents du dessus, sans dent dessous. Sa gorge – hurlements du dedans. Ne sent plus rien. Boucles à tête d’épingle.
- # Recto-Verso 10 Suzanne Dopelt # ce jour, IL, ELLE, sont des corps-livres, des voix-oreilles, des yeux-miroirs qui effleurent l’irreprésentabilité d’un drame humain universel, dans un espace confiné entre soi et soi, entre vivants et morts
Tout se rassemble
se rejoint
Plaisir toujours
Très belle exploration. Et ce mélange de l’écrit et du lu. ( autoportrait en lecteur de Marcel Cohen) Ce qui naît de l’ombre. Et ce NON qui est un arrêt et un mouvement.
Ping pong entre nos 11
J’aimerais des lectures entre nos l’ec-rires
‘Autoportrait de Marcel Cohen’
Ecrire derrière soi, là, sans y être,
Rassembler ces éclats, saisir des fils (rouges)
et les « peut être » de quelques « plis » et tournoiements
Merci d’en être