#rectoverso #11 | des choses

ce dont il ne faudrait pas se passer de connaître toute la vérité

des choses qui ne peuvent pas ne pas avoir eu lieu
et de celles qui ne peuvent pas ne pas avoir existé
du corps le sien
de la pousse de ses cheveux
de la pousse de ses ongles
des soins médicaux
des soins d’hygiène
et de ses besoins
de se lever se laver se vêtir
de se coiffer et se regarder dans la glace
de se laver les dents
de son asthme
de son hypertension
de ses insomnies et de ses visions
de sa vision
des choses auxquelles il pense
des choses qu’il pense
de sa femme et de la première fois où il et elle se sont croisées
de la dernière fois où il l’a embrassée
de sa famille
de ses enfants
de son petit Luca
du petit ou de la petite à naître
de ses frères et sœurs de sa mère de son père
de son caveau
de sa fin
de sa mort
de ses je suis bien traité de ses on ne me veut pas de mal
de sa religion
de dieu de jésus
du pape
de son ami prêtre et proche
de sa nourriture
des choses qu’il aime manger
de sa boisson
thé café eau vin
des choses qu’il aime boire
des apéritifs qu’il déteste
ou qu’il aime
des desserts
des légumes bouillis
des pâtes aux lentilles
des fonctions et des organes inutiles
de la sexualité
des pleurs
des respirations
des gouttes de sueur
de sa lymphe de son sang
de ses muscles de ses sourires
de ses mains
de ses pieds
de ses vêtements
de ses maillots de corps
de ses tricots de peau marcels ou manches courtes
de ses slips
des lessives
de ses chaussettes et chaussures
de sa ceinture
de ses lacets
de ses écrits
de ses stylos
de ses feuilles de papier
de ses classements
de ses amis
de ses ennemis
de ceux qu’il cherche à convaincre
de ceux qui veulent le sauver
de ceux qui veulent le perdre
de ceux qu’il devrait dénoncer
de ceux qui ne veulent plus entendre parler de lui
de ceux qu’il doit couvrir ou cacher
des choses à divulguer ou à ne pas divulguer
des choses à dissimuler laisser entendre et suggérer
des choses qu’il peut entendre dans sa prison
des choses qu’il peut lire
des lettres qu’il envoie
des journaux qu’il peut lire
des journaux qu’on lui donne
de ceux qu’on lui cache
de ce qu’on ne lui dit pas
des livres qu’on lui procure
de la bible
de la messe qu’il veut écouter et qu’on lui enregistre
des hommes politiques
des hommes d’église
des hommes qui le recherchent
de ceux qui sont morts sous ses yeux
de ceux qui ne veulent pas le trouver
de ceux qui espèrent
de ceux qui veulent l’oublier
le perdre le laisser tomber le tuer
l’épargner l’échanger le garder en bonne forme en état en bonne santé
du peu de femmes dans le personnel politique
de cette époque-là et de ceux qu’il oublie
de celles qu’il oublie
de ses maîtresses
de ses amours
des choses qui lui font battre plus fort le cœur
des choses qui lui font battre le cœur plus fort
de celles qui plus fort lui font battre le cœur
de ses défauts
de ses qualités et de ses travers
de ses colères
de ses rêves
de ses joies
de ses jeux préférés
de ses lectures préférées
de ses loisirs préférés
de ses destinations de vacances
de ses lieux de villégiature
de ses venues à Paris Londres Karachi Washington Sao Paulo
de sa façon de regarder la télévision
de sa manière de perdre son (ou du) temps
de lire les journaux
les livres
les thèses
les scénarios
du droit
de l’oblique
du sud de l’Italie
de la mafia cette chose qui est nôtre sienne leur
de la loge P2
de berlusconi
de l’hôtel excelsior et de la suite 187 occupée à l’année
de ses maisons
de ses habitations
de ses adresses
de ses sentiments vis à vis de la mer
du sable et des étoiles d’elle
de la montagne
de ses voitures
de l’état de ses articulations
du sport qu’il ne pratique plus
de ceux qu’il pratiquait, le ping-pong le tennis le golf le polo ou le water polo
on l’imagine sur une mobylette une vespa (Gregory Peck) ou un solex (Sheila) ou dans son lit dormant ou faisant l’amour
de ses idées à propos du football du vélo du giro et du totocalcio
de l’aviation
de la guerre
des choses qui lui appartenaient que sont-elles devenues
elles ne servent plus à rien ni à personne
ses costumes
ses chemises (qui les repassait ?)
ses cravates
ses chaussures dans le bas de l’armoire
ses testaments
ses propriétés
des choses qu’il avait avec lui
qu’il avait dans ses poches
avec lui
son portefeuille
son argent quelques petites pièces de cent lires
des billets
des choses qu’il conservait avec lui dans la poche intérieure de sa veste juste sur le cœur
ses cartes de visite professionnelles de crédit
ses photos
de ses papiers d’identité
son passeport
des clés de chez lui
de celles de son bureau, de son tiroir secret, de son coffre
de ses secrets et de sa montre
de ses lunettes
de son alliance
de ses bijoux
une chaîne une bague une chevalière une gourmette
de sa façon de s’interroger
de se souvenir
de prendre sa tête dans ses mains
de croiser ses doigts quand il prie
de serrer la main de ceux qu’il rencontre
de celles qu’il rencontre
de dire bonjour au revoir à bientôt bien à toi
avec toute mon affection
de dire mais pourquoi moi
de penser encore une chance
de penser un seul espoir
de se recroqueviller dans le coffre et de penser tout est fini
de sur son regard tirer le plaid









un moment il m'est vaguement venu à l'idée qu'un classement par disons thèmes ou autre serait adapté (oui serait quoi justement ?) au moment où j'ai conçu que ses affaires personnelles devaient avoir une place chez lui - un dressing tu crois ? - avait-il sous sa subordination un valet ? qui faisait sa lessive ? lui tu crois ? qui repassait ses chemises ? - quand sont apparues pour la deuxième fois ses chaussures - et ces choses qu'il ne reverrait jamais

j'ai laissé en l'état

on n'entend rien non plus de ses paroles du ton de sa voix de sa façon de découvrir ses dents en souriant de plisser les yeux mais pas la bouche dans ses bons jours dans ses bonjours - on oublie son odeur (bien qu'on le sente suer parfois) après rasage électrique ou manuel ? toutes sortes de choses qui existèrent dans cette solitude  

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10" et le site plutôt là : <a href="https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

6 commentaires à propos de “#rectoverso #11 | des choses”

  1. Piero, c’est très fort. Très émouvant, plutôt même remuant à l’intérieur.

  2. À la seule force de l’évocation…
    De l’histoire qui pourrait continuer ainsi à cette cadence sans faiblir… merci Piero

  3. Lui encore ,peut-être. Cette liste de gestes de choses de soi de vie. Poignante.

  4. Plaisir toujours de retrouver ce sillon italien qui se creuse d’année en année, mais je trouve qu’il y a là avec cette liste incroyable (au delà de ce qui se suffit et fait performance dans la proposition d’atelier : cerner un personnage avec tout ces petits titres) si on sortait de l’atelier, il y aurait carrément un plan d’écriture, une forme pour un roman qui serait ça, Aldo Moro par petits éclats, petits bouts… ( c’est très subjectif bien sûr mais quel livre ça ferait !! moi en tout cas je le lirais 🙂 )