c’est un fragment de jardin public : le banc la mère à droite et au centre la petite fille et le vélo bleu. C’est une toute petite scène d’une toute petite vie de famille par un dimanche gris. Hors du cadre, c’est un jardin tout en long depuis la place de l’église jusqu’au grand carrefour où les routes se séparent gagnent la rocade avant de se perdre dans la campagne. C’est un jardin tout en long avec des chemins de gravillons gris entre les arbres qui font crisser les roues des poussettes et des vélos en laissant des traces sur le sol, surtout après les dérapages contrôlés. Pour l’heure, dans le cadre, la petite fille apprend à s’élancer toute seule dans le jardin gris vert. Faire du vélo elle sait faire. S’élancer elle n’y arrive pas. La plus petite, elle, joue et accapare les gestes et l’attention de la mère. La voix off du père qui réexplique comment faire. Sur le banc dans le cadre le geste et le visage d’agacement de la mère
ce jour-là le jardin public a la taille du cadre dans l’œil de la caméra dans l’œil droit du père tandis que l’autre œil, le gauche, fermé, fait plisser tout le visage, et ce que capte l’œil du père dans l’œil de la caméra ce jour-là, l’aînée qui le regarde trente ans plus tard, elle n’aime pas ça, et elle ne comprend pas d’abord vraiment pourquoi elle n’aime pas ça, pourquoi le ventre se tord, un peu, et puis l’œil grossi de mémoire et de vie vécue, peu à peu, perçoit comprend : dans ce fragment de jardin public ce que l’œil du père a saisi dans le cadre, et que regarde l’aînée trente ans plus tard, le visage le geste de la mère le banc les gravillons les grands arbres verts le vélo bleu dans le dimanche gris, c’est la vie rétrécie, toute grise, comme arrêtée dans son élan, elle aussi
Beaucoup de délicatesse. Merci
Merci Louise ! A te lire très vite !
« La vie rétrécie » : ça vient sous-entendre une histoire, ou des histoires. Pour moi, c’est l’onde de choc ! ça laisse à chacun d’imaginer ces 30 années écoulées…
Merci Sylvia ! « la vie rétrécie » est arrivée après la description, ça a mis du temps à éclore. Mais c’est ça.
Cette toute petite scène derrière laquelle on sent poindre une mise en abîme. Que s’est-il passé ? Quel secret recèle ce fragment de jardin public ? Et pourquoi le ventre se tord ? Et pourquoi ? Et pourquoi ? La tension est ici à son comble. Le dimanche gris, la vie rétrécie et grise elle aussi, la vie arrêtée… la littérature, derrière les mots. Magnifique Emilie. Merci pour ce moment de lecture.
Merci Serge pour ta lecture toujours attentionnée !
Une toute petite scène dans un cadre multipliée dans et par l’écriture pourrait donner un petit livre en mouvement genre flipbook. C’est ce que je vois dans l’œil de la caméra. Autant de petites scènes qui prennent couleur (dimanche gris, vélo bleue, cuisine orange etc…)
Merci Cécile pour ces inspirations de mises en forme de la matière. Stimulant !
Ah ce recto-verso ne m’inspirait pas du tout et je me suis dit tiens je vais aller lire le texte d’Emilie, je pense que ça va relancer ma créativité… pari réussi ! Très belle miniature stylisée, comme d’habitude ! Cinématographique.