Codicille
Ecrire un livre? Ecrire. Quel était le projet? Celui sans quoi l’existence n’est pas justifiée. La nécessité. Noter. Conserver. Faire que ce qui a eu lieu soit conservé, certifié, prouvé, éternisé. Chimère qu’un pareil projet? Ridicule? Ou simplement ce qui sous-tend toute écriture? Le prendre au sérieux. Sans esprit de sérieux. (Ni plus ni moins que ça.) Voilà pour le quoi. Le comment? Jusqu’à présent de l’épars. Des carnets, d’abord. Des fichiers, ensuite. Des textes longs aussi. Deux manuscrits (tapuscrits). Inaboutis s’il s’agissait de les publier. Terminés toutefois. Manque la forme, marque l’architecture. Manque ce qui fait littérature. Mais a été noté, extirpé ce qui avait à l’être. Mais on n’est jamais à l’abri de la mauvaise foi. (Basta! )Prendre ce qui est. Ce qui vient. Ce qui pousse malgré soi. Ici un lieu, une école, des visages, des gestes, des jeux. De l‘ordinaire en somme. Comment s’y prendre? Par bribe, par thème, par lieu, par visage, par mot, par jeu, par objet, meuble, outil, par saison, par rythme d’une journée, d’une année. A quelle distance poser la caméra mentale. Qui parle? Faire des essais. Essais. Pensées. Prendre leçon sur Montaigne, sur Pascal. Un jeune homme (il meurt à 39 ans), une corde à linge tirée entre deux murs de sa chambre, des liasses de feuilles suspendues, il en extrait une, la complète, finalement la troue une seconde fois pour lui adjoindre une autre liasse. Homme de génie, précurseur à qui on doit non seulement la pascaline, le langage binaire, mais ces dossiers et sous dossiers que nous propose d’emblée le moindre ordinateur. Penser. Classer. Sur le mur aujourd’hui des post-it, et des phrases copiées pour guider (pas de poutre, pas de tour, mais une chambre à soi) : « Oser, c’est perdre pied momentanément. Ne pas oser, c’est se perdre soi-même. » (Soren Kierkegaard), « Nous sommes ce que nous répétons chaque jour » (Aristote), « Cela paraît toujours impossible jusqu’à ce que ce soit fait » (Mandela), « Écrire, c’est attendre dans une maison vide l’apparition des fantômes » (John le Carré), « Une vie, c’est la reprise d’un destin par une liberté », Simone de Beauvoir. (Reste à écrire, à pousser la langue, à amplifier. Mutiplier les dossiers. Et surtout y revenir.)
RECTO
(supprimé)
VERSO
Des noms ( des adultes, des enfants), des prénoms (ceux qui se disent, ceux qu’on ignore, ce qu’ils disent d’un milieu, d’une époque), des appellations, des lapsus
Des émerveillements, des découvertes (de mots, couleurs, procédés, agencements)
Des ignorances, des indifférences (sur ce qu’il se passe au dehors, de la vie des autres au dehors de ce lieu forclos où se découvre ensemble un ailleurs, un ailleurs commun)
Des classements, des compétitions, des rivalités, des groupes
Des hiérarchies ( sociales, économiques) aux causes ignorées, mais hiérarchies connues, intégrées
Des corps qui se découvrent, se maîtrisent, réagissent à l’envi.
Des corps qui ignorent les complexes (tous?), les obstacles
Des corps qui s’ancrent dans l’existence, se meuvent dans l’espace, sautent, gambadent, courent, dansent, grimpent, s’écroulent, se relèvent, bondissent, s’envolent.
Des jeux de l’esprit qui court, bondit, sursaute, grimpe, descend, caracole, s’ébahit, jubile, bloque, pousse, trouve, explose, rit.
Des lumières à travers givre, vitrail, doigts croisés, paupières baissées, yeux clignés, loupe, verre dépoli, rideau tiré, fenêtre ouvertes, fenêtres fermées
Les sorties à pied au stade tout près, en bus au stade avec pelouse, plus loin pour faire voler les planeurs et les regarder s’écraser, se briser.
Des visages
Des histoires, des drames, des solitudes
Des habitudes
Des vélos
Des bérets
Une veuve
Une salle d’aéromodélisme (le planeur modèle accroché au plafond, un horizon, un possible)
Une étude dans le jour qui s’achève, des chaises qui se vident
Un vouvoiement entre adultes, entre enfants et adultes, entre enfant et père
VERSO DU VERSO
Photographie synchronique d’une école (telle école, à tel moment donné, avec telle et telle personne, dans leur particularité) mise en perspective par une interrogation diachronique de l’enseignement.
Intérêt de cette carotte spéléologique : ce qu’elle montre, par contraste, de l’évolution d’une ville, des changements politiques d’une municipalité et, au-delà, d’un pays, de l’évolution de la conception de l’élève, de l’enfant, du genre, de l’enseignement, du savoir, du loisir (depuis la skholè jusqu’à l’hebdomadaire syndical l’École libératrice), des origines sociales des instituteurs hier, des professeurs des écoles aujourd’hui.
Risques : la caricature, le passéisme, le populisme. L’ennui.
Intérêt : voir chacun et chacune comme plus grands qu’ils ne sont, car pris dans une histoire avec tous les habitus qu’elle charrie.
Merci Betty pour ces « Prendre ce qui est. Ce qui vient. Ce qui pousse malgré soi. » qui s’enroulent dans nos pratiques, et se déplient là avec sincérité…
Merci Michael. Ai depuis complété texte. Pas évident ce cycle. Mais tant mieux, ça contraint, « pousse » justement. Merci pour lecture et retour.
Merci Betty pour ce texte la citation de John Le Carré m’interpelle particulièrement. Je la trouve très juste.
Oui, ce cycle n’est pas évident.
On en revient toujours à la dernière parenthèse du codicille (Reste à écrire, à pousser la langue, à amplifier. Multiplier les dossiers. Et surtout y revenir.) Et comme dirait l’autre, y a plus qu’à !