Le plateau s’élargit après la montée. C’est le replat du Lagarot. Une doline verte, mouillée en son fond, tapissée d’herbe tendre, semée de quelques mélèzes. Ce n’est pas un paysage spectaculaire, mais un jardin alpin caché et traversé de lumière, un petit miracle d’équilibre.
Et pourtant, en contrebas, le village de Douans, bien réel, reste invisible. Noyé sous les arbres, enfoui dans la pente, il n’existe ici que parce son nom a été inscrit sur une carte. Ce savoir vient de la géographie et non de l’expérience sensible. On peut passer des heures face à un paysage sans deviner ce qui s’y cache en dessous.

Hammeau de Douans
À 2200 mètres d’altitude, le replat du Lagarot forme une sorte d’assiette creuse posée sur le rebord des balcons du Mercantour. La tête arrondie de Gerpa ourle la cuvette comme une goutte de peinture figée sur le bord d’un bol en faïence. Au-delà s’ouvre la vallée de la Tinée. En face, les crêtes du Mercantour. Je regarde ces sommets sans pouvoir les nommer. C’est une ignorance honteuse. Peut-on vraiment connaître une montagne si on ne l’a vue que d’un seul côté ? Le Mont Mounier, je le connais – un cône évasé totalement minéral – mais par Valberg et Beuil. Je sais qu’il se trouve là dans l’ondulation des montagnes. Pourtant je ne le vois pas vraiment.
C’est étrange cette familiarité et cette absence. Pourquoi le Monier est-il orphelin d’images ? Qui a peint le Mounier ? Matisse, Chagall, Renoir : tous happés par la mer, par ses couleurs et sa lumière. Ici, l’Alpe manque de peintres. On a gravé au mont Bego, certes, dans la vallée des Merveilles – mais c’était il y a des millénaires. Puis il ya eu les Mossa, Fricero, Trachel au XIXe siècle, avec l’enthousiasme du rattachement du comté de Nice à la France. Mais la montagne, dans ces régions, n’a pas trouvé de Cézanne. Trop de soleil.

Le Mont Mounier (face connue)