#rectoverso#13 | fleur imaginaire

on naît quelque part dans l’imagination
l’image d’un grand bazar
un souk 
un capharnaüm
ça parle ça crie ça pleure ça court ça vie ça vibre ça pulse ça tremble ça explose ça prend feu
et l’on qui naît 
un peu plus perdu un peu plus désorienté un peu plus innocent un peu plus nouveau-né
un rayon de lumière peut-être
né dans l’imagination
quelque part
ici ailleurs 
ailleurs plutôt
on naît ailleurs dans l’imagination 
plutôt
de celui qui imagine qui pense qui rêve 
de celui dont la tête est un grand bazar
de celui qui écrit
on naît ailleurs dans l’imagination d’un écrivain
peut-être

une fleur qui pousse sur un trottoir
une incongruité
une incongruité commune
attendue
un trottoir sans fleur n’est pas un trottoir intéressant
un trottoir trop propre trop lisse trop convenu trop bien défini
trop toir
une fleur qui pousse sur un trottoir peut être vue 
admirée enviée photographiée comptée contée écrasée
une fleur pousse le trottoir
pour exister
elle pousse le trottoir puis le mur puis la maison puis la rue puis la ville tout entière
avant il y avait une ville à cet endroit maintenant il y a une fleur
partout où pousse une fleur se trouvait une ville il y a longtemps
il y avait des tas de villes
bien plus de villes que de fleurs
on s’offrait des bouquets de villes qu’on mettait dans l’eau
de villes englouties des villes sous-marines
maintenant on s’offre des fleurs
ou des bonbons ou des gâteaux ou des billes quand on est petit garçon
on ne s’offre plus de villes
trop encombrantes
on s’offre une fleur parfois 
avec son trottoir
une fleur qui pousse sur un trottoir

voix1 — j’aimerais naître imaginaire
voix2 — que tes parents soient imaginaires tu veux dire ?
voix1 — non, naître imaginaire, naître dans l’imagination de quelqu’un
voix3 — facile, faut juste qu’on t’imagine
voix1 — comment on fait pour être imaginé ?
voix3 — faut qu’on ait besoin de toi
voix2 — personne n’a besoin de toi
voix1 — de toi non plus
voix3 — alors vous pouvez pas naître imaginaires
voix4 — vous n’avez rien compris, c’est pas comme ça que ça marche
voix1 — comment ça marche alors ?
voix4 — imagine une fleur
voix2 — une fleur qui est née imaginaire ?
voix4 — oui c’est ça, une fleur qui est née imaginaire
voix3 — une fleur dont on a besoin
voix1 — on a toujours besoin d’une fleur
voix4 — si vous voulez, une fleur dont on a besoin
voix2 — une fleur dont l’imaginaire a besoin
voix4 — une fleur qui pousse sur un trottoir
voix1 — une fleur handicapée ?
voix3 — une fleur pas comme les autres
voix4 — une fleur tellement forte qu’elle est capable de pousser sur un trottoir
voix2 — faut avoir une imagination forte pour ça
voix3 — on n’est pas capables d’imaginer ça
voix4 — bien sûr qu’on en est capables
voix1 — on est forts alors ?
voix4 — on a une imagination assez forte pour faire naître une fleur sur un trottoir
voix2 — je ne me sens pas fort parce que je suis capable d’imaginer une fleur sur un trottoir
voix3 — tu as tort, tu devrais
voix4 — bien sûr qu’on est forts
voix3 — mais la fleur est encore plus forte
voix1 — elle pousse sur le trottoir
voix4 — elle pousse le trottoir
voix2 — elle pousse le mur, la maison, la rue, elle pousse la ville tout entière
voix3 — elle est forte cette fleur
voix4 — oui, elle est forte
voix1 — j’aimerais la connaître, cette fleur
voix4 — mais tu la connais
voix1 — ah bon ?
voix3 — tu la connais puisque tu l’as imaginée
voix2 — elle est née quelque part dans ton imagination
voix1 — non, pas quelque part
voix4 — oui, quelque part
voix1 — non, sur un trottoir dans mon imagination