#rectoverso#09 Gastronomie familiale

Une cuisine tout en long, au bout la fenêtre laissant entrer la lumière, et une table carrée en bois blond ciré entourée d’un banc du même bois disposé en angle, quatre places d’enfant, et deux chaises pour les parents. Une cuisine où on cuisine où on mange où on discute. Des repas simples, mais on n’a jamais manqué de rien. Et dans les meilleurs souvenirs, il y a ces tartines de pain noir parfumé de cumin avec une couche de beurre confortable, exceptionnellement. D’habitude, pas de beurre dans la cuisine. Mais le vendredi saint, il fallait jeûner, surtout pas de viande, même les enfants devaient se sacrifier, seulement ce n’était pas un sacrifice, c’était un délice qui est resté dans nos mémoires. Et accrochés au mur blanc, deux tableaux de Brueghel, reproductions tout juste honnêtes aux cadres bleus qui nous observaient et nous accompagnaient.

Une visite chez des cousins à la campagne, petits fermiers, des poules caquetant dans la cour, des bœufs et vaches dans l’étable, peut-être un cochon dans un coin près du tas de fumier, le temps a dilué le souvenir. Entrez donc, et c’était la cuisine qui nous accueillait, une pièce basse sombre presque aveugle. Noire dans ma mémoire, étouffante, grand soleil dehors, obscurité épaisse dedans. La cousine s’affairait devant la cuisinière, grande poêle en fonte, noire de suie, huile en abondance qui chauffait qui brûlait, et la jatte d’une douzaine d’œufs battus qu’elle venait de chercher dans le poulailler, qu’elle jetait dans la poêle, dans l’huile fumante qui grésillait, une omelette mémorable, baveuse, grasse, nourrissante, même un peu écœurante…

Mais aussi les sorties en plein air qui méritent leur place dans la gastronomie familiale

la tomate qu’on croquait à pleines dents, dont le suc éclaboussait le maillot de bain, et l’air qui embaumait l’herbe et les eaux de la piscine,

le pique-nique d’anniversaire sur la colline surplombant la ville, ma mère avait passé des heures dans la cuisine pour nous offrir une spécialité, les boulettes d’abricots, des fruits enfermés dans une pâte, cuites à la vapeur et ensuite roulées dans la chapelure frite comme pour une escalope et présentées dans une boîte saupoudrées de sucre, le tout accompagné pour les grands par une dégustation de vin blanc local

le « letchou » sorte de ratatouille hongroise, qui cuisait dans une cocotte sur un petit camping-gaz, à côté de la toile de tente plantée dans le sable au milieu d’un terrain de camping italien bordé par la mer bleue

Et pour revenir dans les cuisines, celle de la grand-mère, la mémé, petite pièce à vivre, grande cuisinière à bois qui chuinte qui chuchote qui chauffe un grand plateau en fonte, des pommes de terre à éplucher, à détailler en rondelles lavées essuyées, une poêle immense, lourde, astiquée, de l’huile d’arachide à volonté, peut-être encore une giclette pour bien faire, verser les rondelles de pommes de terre , les disposer en rang, les surprendre à chaud, les rôtir presque, mais pas les brûler surtout, pas les cramer, et puis les laisser mijoter… tout un art que possédait la mémé, que possédaient ses ancêtres, que possèdent ses enfants et petits- enfants, les patates de mémé sont entrées au panthéon de l’histoire familiale…

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.