#rectoverso#14|Auspices

« Ta vie s’est arrêtée quand tu es mort. Mais des choses vont continuer à m’arriver à cause de ça. »

Ugo Bienvenu 2014 d’après le roman éponyme de David Vann Sukkwan Island 2008
Codicille : c'est un joyeux foutoir. J'y verse des pièces disparates issues de différentes sources parvenues jusqu'à moi dont la citation en tête de cet article. 
Collage par moi-même 20/04/2015

Si l’on en croit la définition du dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française Le nouveau Petit Robert dans une nouvelle édition millésime 2009, le mot « Auspices », nom masculin pluriel, attesté au XIVème siècle sous la forme euspices, vient du latin auspicium, de avis « oiseau » et spicere « examiner ». Dans l’Antiquité romaine, c’est l’observation des oiseaux, présage tiré du vol, des mouvements, de l’appétit, du chant des oiseaux, etc. On prend les auspices comme on prend la température. On croit ou on ne croit pas aux signes d’après lesquels on croit prévoir l’avenir. Pour ma part je n’y crois pas. Cependant l’image que vous avez sous les yeux est troublante. Le collage a été réalisé, nous dit-on, par « moi-même » le 20 avril 2015. Par « moi-même » ne nous dit pas qui. Mais au vu de l’évènement marquant qui eut lieu huit jours après le solstice d’été de la même année, on ne peut s’empêcher de penser que celuicelle qui l’a fait en avait le pressentiment. D’autant plus que d’autres phénomènes se sont produits sur la courte période qui nous intéresse entre le 20 avril et huit jours après le solstice d’été 2015 dont un déjà pressenti dans le collage à savoir la vache volante. On a retrouvé dans les nombreux carnets ayant appartenu à l’auteurice mais également sous forme numérique, notes et fichiers permettant de faire le lien entre plusieurs faits troublants.

Le 26 juin aux alentours de midi. Dans l’étable une vache couchée sur le flanc tire la langue rend son dernier souffle. Ses veaux jumeaux n’auront plus son lait   c’est qu’une vache c’aurait pu être le bonhomme Trouver du lait chez un laitier. Deux biberons. Les veaux goulus tètent leurs tétines de caoutchouc. Leur mère est gisante. La sortir de là. L’envelopper d’une bâche de plastique noire. Appeler l’équarrisseur. C’est vendredi après-midi. Il ne viendra pas avant lundi matin. Vivre un week-end avec cette forme noire bâchée visible de la fenêtre. Heureusement n’avoir personne à la maison  dimanche. Faire monter les veaux dans le Kangoo paillé. Les mener joyeusement en pension chez un collègue   « demain c’est ma fête »

Le fragment est daté du 26 juin.

Il existe un autre fragment daté du 23.

Le 23 juin en soirée chez une amie. Infirmière elle a découpé dans une gazette nantaise un article intitulé « Compter les moutons dans le noir, facile ! » et l’a placardé sur le mur de ses toilettes. Il dit : « Il sera désormais plus simple de les compter pour s’endormir. Un groupe de chercheurs uruguayens a annoncé la naissance de moutons phosphorescents. Ces animaux transgéniques ont reçu un gène de méduse dans leur ADN, les rendant fluorescents sous une lumière ultra violette. » Appliqué au cancer, ce gène de méduse permettrait de repérer dans le corps toute tumeur par phosphorescence ou fluorescence et on pourrait ainsi prendre des nouvelles de son cancer qui s’allumerait la nuit. Facile ! Plusieurs verres de Muscadet Sèvre et Maine sur lie avait aidé à l’élaboration de ce scénario de science-fiction.

L’article en question a été conservé, je peux l’archiver dans mon dossier.

Vous ne voyez pas où je veux en venir ? Moi non plus.

J’ai relevé dans les nombreux commentaires suite aux publications de l’auteurice sur le Word Press, celui-ci, de KB : « On est avec l’enfant on le voit se glisser dans un corps d’homme encore trop grand pour lui. » C’est ce commentaire qui me fait me souvenir du collage et aussi l’indication laconique entre parenthèses de FR dans sa contribution #14 du 14 août 2025 de Survivances sous une photographie travaillée « en attendant… faute de mieux ». Je dirai à FR qu’une image dit parfois autant si ce n’est plus que les mots. Mais c’est tellement cliché ! Qu’elle me pardonne.

Si j’en reviens à la chronologie des faits, on arriverait au huitième jour après le solstice d’été 2015. Les deux fragments suivants attestent d’un évènement marquant.

Vous ne savez pas qu’une volumineuse anémone de mer a poussé comme le nénuphar dans le poumon de Chloé au niveau de votre foie envahissant petit à petit votre veine cave  finissant par l’obstruer complètement. L’ignorant vous perdez connaissance.
Une cheville tourne puis le genou se vrille les bras peut-être se tendent pour retenir le corps qui s’affaisse. Vous tombez dans les pois neige molle sous les pieds qui semble vous engloutir qui s’enfonce sous votre poids. La chute n’est ni lente ni rapide vos lunettes giclent. L’espace autour de vous se rétrécit oppresse votre poitrine étreint votre crâne. L’air faiblement entre dans vos poumons récalcitrants. Le soleil se fige une boule vous noue le ventre. Votre regard se fixe sur une chose intérieure. Le champ s’étend jusqu’au ciel d’acier le cœur ne suffit plus. Vous vous écroulez sur le sol. Lourd. Vous ne comprenez pas ce qui vous arrive vous le dites qu’est-ce qui m’arrive. Vous suffoquez. Le paysage alentour devenu trop grand se vide rapetisse votre esprit perdu sous une étendue de ciel gigantesque. La terre tourne au bord d’un trou noir elle tangue. Peut-être des images défilent-elles émergeant de cette obscurité soudaine. 

Une version similaire a récemment été publié sur le Word Press.

le fait qu’il soit mort d’un cancer foudroyant et qu’il n’en sache rien ne sache pas et nous non plus et vous non plus [...] le fait qu’il se plaigne d’une sciatique plutôt que d’une tumeur cancéreuse lui poussant dans la veine cave mais qui ne se plaint pas un jour ou l’autre d’une sciatique le fait que moi aussi il m’arrive de souffrir du nerf sciatique ou de cruralgie et pourtant je ne suis pas morte le fait que mort il était trop tard pour le lui dire lui dire que peut-être il allait mourir mais je lui ai dit simplement voilà tu es mort pour qu’il le sache le fait qu’il soit mort d’un cancer sans le savoir non mais qui peut dire je suis mort d’un cancer sans l’avoir su le fait qu’il en ait un niché en lui et qu’aucune phosphorescence ne l’ait signalé le fait que j’ai pensé à une anémone de mer plutôt qu’à une tumeur comme le nénuphar dans le poumon droit de Chloé

C’est là qu’il faudrait s’intéresser, comme on le voit sur l’image du haut de page, à l’enfant se glissant dans un corps d’homme encore trop grand pour lui. On voit également la vache morte voler dans le ciel s’il y en avait un comme dans une toile de Chagall et une femme éplorée. Somme toute, une représentation de la veuve et l’orphelin. La vache, il en est question dans une lettre de Valentine à Amour :

La dernière fois que je t’ai vu tu portais ton short et la poubelle. Une vache morte flottait au-dessus du pré comme sur une toile de Chagall. Je l’évoque parce que cette nuit j’ai rêvé à un anniversaire. J’avais à la main mon bouquet de mariée, toujours aussi frais, qui embaumait le jasmin et le seringa. Au matin ta mère avait cueilli les fleurs dans le jardin, elle avait coupé une rose rouge et un lupin. Le tout attaché avec un lien de dentelle anglaise. Dans mon rêve, je portais une robe de mariée noire agrémentée d’un petit col blanc dentelé et toi une chemise verte. On ne voyait pas encore la vache voler, cachée derrière le rideau de la fenêtre. 

Le motif de la vache, on le retrouve dans un texte issu de l’atelier Boost #11bis. Je m’autorise à l’insérer ici et je remercie publiquement NH pour sa collaboration (en gras dans le texte) :

Je n’eus ni voile ni robe blanche. Nous évitâmes son village pour nous marier dans ma ville. Depuis l’appartement familial nous allâmes à pied à la mairie d’arrondissement. Nous devant la noce derrière. Il ne manqua que le violoniste pour nous ouvrir le chemin et la charrette tirée par un cheval pour transporter nos vieux parents peinant à la traîne. Un frère porta son fils sur ses épaules un pistolet en plastique à la main. Un beau-frère poussa une poussette vide. L’enfant s’envola lui aussi sur ses épaules. Tous les enfants furent sur les épaules de leur père ce jour-là sauf ceux qui n’étaient pas encore nés. La noce emprunta le métro. Dans la rame sans chauffeur, nous fûmes stoïques, moi avec mon bouquet de fleurs fraîches à la main, lui avec son petit nœud papillon grenat et sa chemise à carreaux. En fin de journée la noce monta sur la colline admirer le paysage redescendit par des escaliers sinueux et se promena dans les rues de la vieille ville. Nous criâmes avec la cloche. Une vache morte flottait au-dessus du ciel comme sur une toile de Chagall. Avec le tracteur de la route qui descend. Avec son moteur. Avec le galop du cheval. Avec sa robe trempée de sueur. Et les flonflons. C’était une fête d’anniversaire. J’avais toujours mon bouquet de mariée à la main embaumant le jasmin et le seringa. Au matin sa mère les cueillit dans le jardin, elle coupa une rose rouge et un lupin. Le tout attaché avec un lien de dentelle anglaise. Ma robe de mariée était noire agrémentée d’un petit col blanc dentelé. Cachée par le rideau de la fenêtre on ne vit pas tout de suite la vache voler. Le matin du jour où il mourut il portait un short et la poubelle. Sous la bâche noire il y avait une vache morte. Le soir il ne vit pas qu’elle n’y était plus il était mort. Alors je rembobinai le film. Avec la poubelle et son short il revint à la maison à reculons. La vache sortit de dessous la bâche et rentra tranquillement à l’étable elle aussi à reculons nourrir son veau. Je me réveillai au contact de ses lèvres sur les miennes. J’ouvris brusquement les yeux et constatai avec dépit qu’il s’était volatilisé. Je ressentis la douceur de ce baiser comme s’il me l’avait déposé en planant. Je tendis la main mais je n’attrapai qu’un vide lourd et poisseux. Et les blés rosirent dans la lumière du soir.

Un avant et un après à partir d’un extrait emprunté à NH| SOIR Boost #11

Si je récapitule à ce stade de mon enquête :

Période : premier quart du vingt et unième siècle.

Évènement marquant : la mort de Pierre. En citant Lucy Ellmann comme on peut le lire dans le fragment qui suit, c’est la première fois que l’auteurice nomme son mort Pierre. Dans le livre il s’agit d’un chien. Ici il s’agit d’un homme.

Pierre, le fait que Pierre est venu avec nous à Rome et qu’il est mort là-bas, de vieillesse, le fait qu’il avait dix ans, et le véto qui était catholique s’est signé avant de le piquer, le fait que Maman n’a jamais oublié ça,

Figures majeures de la période : la plupart sont issues de la littérature du vingtième siècle et de la littérature contemporaine.

Courants esthétiques et idéologiques : l’art du vingtième siècle essentiellement englobant les liens qu’ils peuvent tisser avec des périodes plus anciennes. Goûts musicaux hétéroclites. Idem pour le cinéma.

Œuvres principales : on peut citer Les treize lettres de Valentine (ouvrage non publié). Je copie colle la quatrième de couverture :

Il était une fois Amour et Valentine. Ils se marièrent eurent trois enfants et deux chattes. On peut dire qu'ils vécurent heureux jusqu'à la disparition soudaine d'Amour. Amour était cultivateur. A sa plus grande surprise Valentine hérite de la ferme et se retrouve fermière du jour au lendemain. De février 2022 à juin 2024 elle écrit treize lettres entremêlant des souvenirs et ses tribulations d'agricultrice. En 2025 ça a fait 10 ans. 

Je signale également la publication collective chez tiers livre éditeur à partir d’un atelier « vers un écrire film » proposé par François Bon 1 heure de ta vie, 66 fois janvier 2022. Dans la contribution de l’auteurice à la page 56, il est question de vaches et de l’enfant.

Épicentre géographique : il n’y a pas plus sédentaire que sa condition de femme de la terre. Elle ne se revendique pas paysanne n’étant pas de ce pays-ci. Elle est fermière dit-elle. Ayant quitté sa ville natale depuis longtemps, elle garde pourtant une préférence pour la vie en ville et se dit citadine jusqu’au bout des doigts.

Je finis avec le dernier commentaire publié le 15/08/2025 par EM dans lequel elle pointe des lieux, des motifs obsédants qui semblent passer par la machine. D’autres commentateurices l’ont pointée aussi. Qu’ils en soient remerciés ici. Peut-être faudrait-il aborder le sujet qui nous occupe sous l’angle d’une moissonneuse-batteuse.

Une moissonneuse-batteuse à l’aube du vingt et unième siècle.

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.

15 commentaires à propos de “#rectoverso#14|Auspices”

  1. Je me suis beaucoup amusée. ça moissonne sec ! quelle marque la moissonneuse-batteuse ? (moi, je reste coincée-mutique) merci.

    • Coincée-mutique serait un beau titre d’article à côté des murmurantes et des inventorières, non ? Merci Louise T. de battre lecture ici !

    • Merci Caroline pour ces mots qui condensent le vers de Verlaine « Je fais souvent ce rêve étrange et familier « 

  2. Merci Cécile pour ce joyeux foutoir comme une moissonneuse-batteuse qui transformerait le réel trop dur en récit… comme Caroline, génial de convoquer Chagall qui insuffle cette vision onirique de la vache volante… et encore ce moment « Alors je rembobinai le film » aussi onirique en écho à Eurydice… très touché!

  3. Touchée par ton « joyeux foutoir » ! qui finalement à la lecture n’est pas tant foutoir, mais récit poétique. Très joyeux ta façon de mener l’enquête – reprendre des fragments, des commentaires – un joyeux collage autour d’un évènement douloureux.

  4. c’est très joyeux à lire ce labyrinthe avec la mariée de chagall qui flotte dans le ciel, avec la vache, elle tient son bouquet de fleur, le ruban de dentelle, et la vache ne broute plus et Pierre est mort en italie et les cauchemars s’achèvent dans un baiser, on rembobine le film, lupin et seringat.

  5. J’ai adoré me perdre, me retrouver, me laisser surprendre par ce texte très drôle (mais pas que). Il est nerveux, il y a des rebondissements, des imprévus, des surprises. On en prend plein la tronche et on retrouve bien les touches de textes précédents !

  6. ni foutoir ni puzzle ni jeu de piste : collage récit (on rit rêve meurt vache chien bouquet rembobine enfant homme et moissonneuse batteuse) et cette bâche noire, cette bâche qui ne vole pas comme la vache morte … qu’il est beau ce bouquet : collage bouquet. Le rire ou le sourire . Ce pouvoir du rire . Cette force là . Rire. Résistance. Et ces lettres ( non publiées ) ici entre le lignes. « Au matin sa mère les cueillit dans le jardin, elle coupa une rose rouge et un lupin. Le tout attaché avec un lien de dentelle anglaise. Ma robe de mariée était noire agrémentée d’un petit col blanc dentelé.  » le noir et le blanc . Beaucoup d’émotion a te lire ( merci à toi).

    • merci Nathalie pour l’image « collage bouquet ». Et pour le mot « Résistance » dans le « pouvoir du rire. Cette force là » Merci

  7. Incroyable ce que cette proposition a fait naitre …merci pour ce joyeux foutoir et ces relectures qui font revivre l’esprit des ateliers . Très vivifiant .
    Cela nous fait comprendre à quel point tout compte. Savoir s’archiver ! Un art ..