- Je me demande parfois d’où ça vient. Mais pas souvent.
- Je me demande plein de choses parfois, je ne sais pas d’où je tiens ça. Certains diront que c’est important de se poser des questions à tous les âges de la vie, d’autres que c’est un manque de confiance en soi-moi. La vérité est que ça ne m’intéresse pas.
- Il y a ce livre immeuble, La vie mode d’emploi. J’aime Perec. Je ne suis pas Perec.
- Je me demande d’où vient l’envie d’écrire. Je pourrais dire besoin mais je n’aime pas l’idée d’avoir besoin d’écrire. Comme on a besoin d’aller pisser.
- En réalité, ça ne m’intéresse pas de savoir d’où me vient cette envie.
- Beaucoup de choses ne m’intéressent pas, possible que ce soit l’âge. Je n’ai pas envie de devenir comme tous ces vieux et vieilles qui n’ont plus de filtre et qui balancent toutes les saloperies qui leur passent dans la tête. Beaucoup de choses ne m’intéressent pas, mais pas les autres.
- J’ai besoin du regard des autres, mais souvent, c’est vrai, ça ne m’intéresse pas beaucoup.
- Un immeuble, sept appartements, vingt-cinq familles, couples ou individus seuls, durant une période de près de soixante ans (1963-2020). Je raconte.
- Je raconte et puis je tisse. J’adore écrire comme ça, des fragments que j’assemble après.
- Je ne sais pas écrire de façon linéaire. J’ai lu quelque part, je ne sais plus où, que si la ligne droite était le chemin le plus court pour relier deux points, c’était aussi le chemin le plus ennuyeux.
- J’écris pour ne pas m’ennuyer. Probable.
- J’écris parce que ça me plaît. Évident.
- J’invente vingt-cinq histoires et je me rends compte que certaines se ressemblent.
- J’invente, mais je plonge dans mes souvenirs aussi. Certaines histoires sont proches de mes souvenirs. D’autres non.
- Je ne sais pas si on peut trahir un souvenir.
- Je sais qu’on peut le déguiser, lui mettre une cagoule sur la tête, l’habiller en danseuse étoile ou en chevalier. J’aime bien travestir un souvenir avant de m’endormir.
- Je sais qu’il y a des milliers de façons d’écrire. Chez moi, une grande partie du processus d’écriture se fait sans écrire.
- J’ai enterré un cousin hier, j’ai beaucoup écrit.
- J’écris dans ma tête tous les soirs avant de m’endormir.
- J’ai l’impression d’écrire en permanence. J’ai aussi du mal à rester assis devant mon ordi durant des heures, j’ai mal partout, je tiens plus en place. Alors je me lève, je marche et j’écris autrement.
- Cet immeuble, je le connais bien. C’est l’immeuble dans lequel j’ai habité avec mes parents, mes frères, mes sœurs et ma grand-mère durant les premières années de ma vie. Jusqu’à je parte vivre ailleurs, sans ma famille.
- J’ai intégré l’immeuble dans le décor du livre que j’écris. Mes histoires se passent dans les appartements de cet immeuble à différentes périodes.
- Je suis présent dans le livre que j’écris, mais je suis le seul à savoir qui je suis, quels nom et prénom je porte. Je me suis bien déguisé.
- Parfois, je me fais un clin d’œil.
- J’aime bien raconter des histoires. Je crois que la fonction première de l’écriture, c’est de raconter. Mais ça ne m’intéresse pas de savoir quelle est la fonction première de l’écriture, j’aime raconter.
- Quand mes enfants étaient petits, je leur lisais rarement des histoires parce que je m’endormais avant eux. Alors, je leur racontais des histoires que j’inventais. Le personnage principal des histoires que j’inventais était une petite baleine qui s’appelait Baleino. Mes enfants se sont longtemps endormis en écoutant les aventures de Baleino.
- Où vont les histoires qu’on invente et qu’on n’écrit pas ? Qu’on n’écrit pas sur un ordi ou sur une feuille de papier ? Qu’on écrit dans nos têtes ?
- Les vingt-cinq histoires de mon immeuble, quand je les ai écrites, j’ai parfois eu l’impression de travailler à la chaîne. De produire de l’écrit au kilomètre. Puis je me suis dit que c’était juste le matériau que je devrais façonner plus tard. C’est ce que je me suis dit.
- En vérité, il y a vingt-six histoires. Autant qu’il y a de lettres dans l’alphabet, ce n’est pas un hasard. La vingt-sixième ne concerne pas un ou des occupants de l’immeuble. C’est l’histoire de celui qui vivait dans un cabanon à l’emplacement exact où l’immeuble a été construit. Il a été assassiné.
- Les histoires s’entremêlent dans ma tête. Parfois, ça devient trop compliqué, elles se font des nœuds entre elles.
- Le plus simple, pour écrire, c’est quand même de taper sur un clavier d’ordinateur.
- Je suis celui qui écrit, vous êtes celle ou celui qui lit. Il y a une troisième entité présente ici, c’est le livre que j’essaie d’écrire. Comme vous avez pu le voir, il vient souvent nous interrompre dans notre discussion. Il vient souvent m’interrompre aussi dans ma réflexion. J’aimerais qu’il apprenne à frapper à la porte.
- Je crois qu’il s’en tape et qu’il fait ce qu’il veut.
- Ceci n’est pas un journal d’écriture.
- Ceci ne regroupe pas mes réflexions sur l’écriture.
- Ceci est juste une façon d’expliquer comment des mots transpirent de la masse mouvante dans laquelle baigne mon esprit.
- J’ai longtemps cherché un ou des mots qui puissent remplacer masse mouvante. Magma ne me plaît pas. Dans mon imaginaire, Golem serait sans doute le plus proche de ce que je veux exprimer, mais le terme est bien trop marqué par un univers qui m’est complètement étranger.
- Mon livre immeuble m’embarque souvent en terrain fantastique. Mon livre immeuble fait le lien entre quelques-uns de mes souvenirs et le fantastique, en passant par toutes sortes de personnes et d’histoires complètement fictives.
- C’est pareil pour les noms que j’ai donnés à mes personnages. La plupart sont complètement inventés, mais quelques-uns sont issus de très vagues souvenirs. Il y a, par exemple, la famille Stankovič. Quand j’étais ado, il y a une cinquantaine d’années, c’était le nom d’un moniteur de ski que j’avais rencontré dans une colo. Rien à voir avec la famille Stankovič de mon livre immeuble, juste le nom. Hier, à l’enterrement de mon cousin, j’ai revu cet ancien mono de ski. Je ne l’avais plus revu depuis une cinquantaine d’années. J’ai demandé des nouvelles de sa famille.
- Il y a la famille Anderson aussi. Anderson, c’était le nom d’un copain de mon fils quand on vivait à Montréal. Quand il parlait de lui, mon fils, qui avait six ans à l’époque, prononçait son nom à l’anglaise. Andr’sonn. Mais cet Andr’sonn n’a rien à voir avec les Anderson de mon livre immeuble.
- J’aime bien trouver des noms pour mes personnages. Quand je cherche un nom de personnage, je suis sensible à la couleur qui me vient à l’esprit lorsque je le lis ou que je le prononce. Taberlet, Uzan, Elissagaray, Lynagh, Ziegler, Kadiri. Moi, je vois des couleurs.
- Ça s’écrit pas, les couleurs qu’on voit derrière les personnages. C’est de l’écriture pourtant.
- « Ça existe, ce que je ressens, ça existe ! » C’est une réplique d’une pièce de théâtre, Le Brasier, de David Paquet. En écrivant ces lignes, cette réplique me vient à l’esprit.
- Ça pourrait être intéressant d’écrire un roman avec des répliques de pièces de théâtre. J’imagine que ça existe déjà. Sûrement. Mais il faudrait connaître les pièces de théâtre pour apprécier. Je ne connais pas beaucoup de répliques de pièces de théâtre. Il est probable que ça ne m’intéresse pas, en fait.
- Je relis quelques-uns des mille d’Olivia Rosenthal. J’entends sa petite musique.
- Je ne suis pas d’accord avec elle quand elle dit que l’injonction à passer par le récit a envahi notre espace mental.
- Je ne vois aucune injonction à raconter.
- Je vous raconte ça, mais je ne vous oblige pas à être d’accord avec moi. N’y voyez aucune injonction.
- Même si mon livre immeuble, lui, m’oblige. Écrire un livre, c’est se soumettre à de multiples injonctions. On est soumis à moins d’injonctions quand on écrit dans sa tête. Je crois.
- Je vais publier ces lignes sans les relire. C’est le deal, ne pas relire. Ne pas revenir en arrière.
- C’est une injonction, ça aussi.
- Je ne sais pas d’où vient l’envie d’écrire. J’étais parti de là, je crois.
- Cinquante-trois fragments de réflexion plus tard, je n’en sais pas plus, mais la masse qui transpire mes mots a un peu bougé.

J’ai aimé vous lire Jean-Luc. Tout ce monde dans un immeuble, cela en fait des histoires et du travail pour les raconter.
Et pourquoi pas ? Merci pour ce partage d un texte en mouvement qui se vit entrain de s écrire, ça fait du bien de partager ce qui est l’origine … bravo d avance pour la suite .
digressions, confidences d’écriture, tu nous intéresses avec ce JE omniprésent, au bout du compte je ne sais pas trop de quoi il s’agit vraiment, mais non je ne retourne pas en arrière, je lis comme tu écris et voilà !
bien sûr ce ne sont que les 53 premiers fragments…
cher JLuc je n’ai pas pu suivre toutes tes propositions mais je te retrouve avec plaisir en cette #15 et j’aime toujours la chair de tes textes dans lesquels je rentre toujours…