#histoire #01 | Espaces en soi et en le Monde.

Il y a soi, tellement en soi, que le Monde extérieur, vivant, nous reste inconnu.

Il y a l’espace entre soi et l’extension de soi : quel nombre de centimètres, de mètres entre le dedans et le dehors ? Une cartographie possible.

Si l’on envisage que le monde est déjà contenu en soi, et que notre peau est la zone de contact qui perçoit et accueille le monde du dehors, alors ? Un renversement ? Et si en plus, on mesure l’extension de soi à l’intensité plutôt qu’à son métrage, alors ? Alors soi et le monde, chacun accueille et reçoit en retour.

Et, si l’on souhaite circonscrire ses différents territoires ? Pas facile ! Chacun d’eux peut contenir plusieurs enveloppes : frontières de peau sur frontières géographiques, administratives… Des murs visibles ou pas, délimitent le dedans du dehors : au pied de notre lit, à la sortie de notre tente, au seuil de notre maison ou de notre immeuble. Le cadastre légifère la parcelle devant ou derrière notre haie, pointe la commune, l’agglomération, la vallée, la région, la nation, la mer, le continent, le monde.

Alors ? Qu’est ce qui fait lien entre toutes les enveloppes de nous ?

Les quelques histoires ébauchées ici, sont celles d’une inclusion d’échelle : d’un point de vie de soi à soi, et de soi englobant le vivant.

Chacun a sa manière de se déplacer, d’arpenter, d’aller à la rencontre de l’altérité – ou, de l’éviter, de se croiser sans contact – ou, de se relier sans vouloir. On suit tous des trajectoires, on erre sur des territoires d’habitude, on se cogne à des nœuds, on tente de se faufiler dans les interstices, on veut plus ou moins conquérir du terrain. On fait des boucles, on avance puis on recule, on trace ou pas. Certains préfèrent courir que marcher …

Tous – en conscience ou pas – nous creusons des sillons, construisons des réseaux, nous arrêtons sur des micro-territoires partagés. Tous, nous habitons des paysages.

Mais, rien de stable, rien qui puisse se résumer à des coordonnées fixés entre positions horizontales et verticales d’un GPS. Nos trajets sont des lignes sinueuses. Les parcours se superposent entre humains, mais pas que. Il suffirait de les collecter ces parcours, de les dessiner, ce serait des figures de déplacements, des traits de soi vers le monde, de soi vers l’autre.

Quidam 1. 

C’est l’histoire d’un harki qui sort des catacombes le matin tôt après un réveil difficile. Il cherche sa pitance du jour, marche vers une poubelle du 14ième arrondissement. Une femme du quartier, une inconnue, marche là, tire sa valise, le croise. Elle lui tend deux clémentines prises au dernier moment dans la panière de fruits de sa cuisine, fruits qu’elle a glissés dans sa poche d’imperméable. Il pleut. Elle marche vite. Elle entre dans un taxi et file à l’aéroport avec son ami pied noir : destination l’Algérie.

Quidam 2.

C’est l’histoire d’une femme née en Auvergne dans une famille rurale. A 20 ans, elle est envoyée par sa famille chez des sœurs, au pensionnat de la rue du Retrait, le « Très saint Sauveur ». Elle devient mécanographe, s’amuse, danse le Cha-cha-cha chez les bougnats de la rue de Lappe. Elle est amoureuse. Mais déçue par Grapin d’or, l’homme martiniquais du café de La Boule Rouge, elle part faire famille avec un mari béarnais, à Izeste.

Quidam 3

L’histoire raconte que depuis la mer, sur leur « small boat », dans l’aveuglement de leurs yeux brûlés par le sel, les larmes et le soleil, des exilé soudanais passés par L’Algérie puis le Maroc et l’Espagne, ont crié en apercevant le phare de Calais. Cette nuit-là, ils ont eu droit à un encas, une boisson chaude et ont dormi sous tente. Tôt le matin, on les a réveillés. Ils devaient repartir.

Quidam 4

Cette histoire, on n’y est pour rien et on hésite à la crier sur les toits. Un matin, elle se grattait les bras, les jambes, et en posant ses pied au sol, la dormeuse a découvert de petites traces noires et des trainées de sang dans ses draps. Comment ces punaises ont-elles marché jusque-là, et élu domicile dans son lit, dans son corps ?

Or donc, l’espace s’invente à chaque instant. Il est vivant, se tresse avec bonheur ou malencontreusement avec d’autres vivants en présence. Or donc, le vivant produit et occupe son terrain de vie, autant que celui de ses voisins – humains, animaux et végétaux. Or donc les frontières de nous et autour de nous se perdent, voyagent, font maillage.

Inspirations : TERRA FORMA
Manuel de cartographies potentielles, 2019, Edition B42

Frédérique Aït-Touati

Alexandra Arènes

Axelle Grégoire

A propos de Yael

Je me balade entre théâtre et écriture. Avec le Tiers livre, j'ai envie de me surprendre, de jouer plus ! Sinon souvent scotchée de réaliser comment l’invisibilité finit toujours par poindre et surgir avec fracas. Je voudrais incarner par l’écriture ce trouble profond. Plus que jamais aujourd'hui. "Un dimanche à Auschwitz," Yaël Uzan-Holveck (orchestration d'extraits d'interviews) et Laurent Wajnberg (photographies), éd. de l'Aube, 2003, réédition 2024