Témoin numéro 1 : le mari
Je ne sais pas ce qu’elle a. Je veux dire : je ne sais pas où elle est. Pas vraiment là, pas vraiment ailleurs, elle a dans les yeux du flou et de l’intense, de l’intensité floue, quelque chose comme ça. Rien d’inquiétant, ça, je dirais que j’en suis sûr : parfois même un léger sourire, pas à moi, jamais vraiment à moi. Elle me regarde (c’est peut-être une exagération), et lentement naît ce sourire, comment dire ? Ce sourire retourné, un peu comme un gant, et moi je réponds à son sourire et je me sens idiot, comme quand tu réponds à un geste dans la rue, qui ne s’adressait pas à toi. Avec Léo, rien a lui reprocher. La maman modèle. Sur papier glacé. Je me demande si Léo se rend compte qu’il a une maman en papier glacé. Forcément, il se rend compte, avec ses antennes de fils, mais il fait comme si, comme moi. Parfois je me surprends à marcher sur la pointe des pieds.
Témoin numéro 2 : le collègue
Elle va tout rafler, je le sens, adieu la promo, elle a de ces petits airs sournois depuis quelques jours, et des ronds de jambe en vois-tu en voilà, polie comme une vitre de musée, je dis pas qu’elle était querelleuse, ça non, mais là, vraiment.
Témoin numéro 3 : un malade – cobaye
Elle est marrante, Jeanine (j’ai demandé son prénom à la gentille dame en blouse blanche, genre scientifique, qui me rend visite quotidiennement depuis que je suis ici, elle a semblé hésiter une seconde, avant de dire « Jeanine » avec ce petit air de quelqu’un que se dit à soi-même : Et puis zut!). Je ne crois pas trop au sixième sens et ce genre de foutaises, mais à chaque fois que cette saloperie de chimio me fait rendre mes tripes, elle apparaît comme une fée. Je n’aurais pas cru que tant de solicitude puisse accueillir mon contenu gastrique. Pour un peu je me croirais parturiente. Je me moque et c’est injuste, car ma fée du reflux semble avoir pour ambition suprême d’adoucir les tourments de mes rebellions viscérales. Gloire à elle. Elle vient d’inventer un système ingénieux pour que je ne sois plus en contact avec les odeurs de vomi tout en étant certaine de ne pas viser à côté – je peux donc garder mon petit sac tout contre moi, prêt à servir, sans être incommodée. Bénie soit-elle. On a donné la Légion d’honneur à moins méritants.
Témoin numéro 4 : la mère
Ma toute belle. En ce moment, j’ai l’impression qu’elle brille de l’intérieur. Mon petit rat de laboratoire. Tout gris, mon petit rat, si souvent, il faut dire que cette vie de néons, le dos vouté sur je ne sais quelle idée plastifiée, et toute cette compétition, combien partis le dos plus vouté encore, les pas assez performants. Mes idées améliorent la vie des malades, Maman, sois fière de ton enfant. Je suis fière mais je m’inquiète. Enfin, en ce moment, pas à dire, elle rayonne, ma toute reine, et je souffle. Depuis ta naissance, mon enfant miracle, mon enfant du non-désir, cette peur au ventre que ne pousse avec toi la plante vénimeuse du secret de cette nuit trop alcoolisée où j’ai rendu dans la cuvette des w.c tripes et pilule contraceptive.